Innocence S. Blackthorn » Shut up and think. {terminée}

Ne pas se fier aux apparences, comme on dit. Tu ressembles à un enfant, mais tu es loin d'en avoir le tempérament. Pour commencer, tu es franche, presque trop. Tu ne fais pas de cadeau, tes paroles sont cassantes, souvent blessantes. Mais pour toi, quelqu'un qui n'est pas capable de regarder la réalité en face et de se remettre en question n'en valent pas la peine. Ce trait de caractère ne changera sûrement jamais, car tu ne veux en aucun cas que ça arrive. Et il ne faut pas que tes proches se considèrent à l'abri de ton honnêteté, tu ne fais pas de cadeau. Enfin, tu es certes un peu plus douce dans tes paroles, mais la vérité est toujours dite.
Et quand tu ne veux pas quelque chose - ou que tu le veux -, gare à ceux qui se trouvent sur ton chemin. Tête de mule, butée, obstinée... Tu es exactement ces termes. A partir du moment où tu es motivée, plus rien ne peut te bloquer. Tu considères que la seule différence entre possible et impossible, c'est la motivation. Et, de ce côté-là, tu es bien lotie.
Et puis, un enfant, ça exprime ses émotions, non ? Tandis que toi, de ce côté-là, tu es une véritable handicapée sentimentale. Dire ce que tu ressens, c'est trop dur. Enfin, encore faut-il que tu l'acceptes. Parce que le nombre de fois où tu mens à toi-même concernant tes sentiments est assez impressionnant. De ce côté-là, ça ne t'aide pas pour te sociabiliser. Surtout que tu n'es pas vraiment du genre tactile - à part pour distribuer quelques coups. Les câlins et démonstrations d'affections en tout genre, très peu pour toi.
Ce qui est complexe, c'est qu'en même temps, tu es possessive et jalouse. Tu as tendance à vouloir surprotéger les autres, quitte à vérifier qui ils fréquentent pour voir si personne ne les influencera. Pour éloigner ceux qui te sont proches de personnes que tu juges « peu fréquentables », tu es capable de beaucoup de choses. Même de coups bas qui tranchent avec ta franchise habituelle.
Tu peux te montrer assez manipulatrice dans certaines circonstances, même si cela s'avère plutôt rare. Tu es capable de tout - ou presque - pour les autres, quitte à te salir les mains, quitte à te faire passer pour quelqu'un d'immonde pour les aider. Tu es tout à fait prête à être « l'ami qui devient un ennemi pour rester un ami ». Enfin, cela, c'est pour les personnes qui se trouvent dans ton cœur. Car pour y rentrer, c'est loin d'être facile.
Tu es misanthrope. Saoulée par les gens, les injustices. Saoulée par ces gens trop optimistes, saoulée par quasiment tout. Tu t'en veux aussi, quelque part, car tu es un peu idéaliste. Tu as tendance à trop espérer. Toujours. Tu es irrécupérable, tu n'arrives pas à changer ça. Mais en as-tu vraiment envie ? Non. Car tu sais très bien que si tu perds tout ça, tu sombres. Lamentablement. C'est aussi pour ça que tu ne te laisses pas approcher. Tu ne sais pas ce que peut t'apporter le contact des autres.
Tu es méfiante, froide, et a tendance à sauter sur la moindre occasion pour rabaisser ceux qui t'énervent - qui sont nombreux. Rare sont les personnes qui n'attirent pas tes foudres, car tu es très susceptible. Et rare sont ceux qui n'ont pas goûté tes poings, car, même si tu as de la répartie, tu considères que les abrutis comprennent uniquement le langage du corps. Enfin, ça, ce n'est que lorsque ta colère est « légère ». Car tu peux aussi faire preuve de violence psychologique. Malgré ça, tu es réaliste, et sait très bien que tes actes peuvent t'apporter un lot de problèmes, surtout lorsque tu réagis par impulsion ainsi. Mais tu n'arrêtes pas, car avoir mal, tu n'en as rien à foutre. Tu sais ce que c'est, tu sais que ce n'est pas agréable, mais tu sais aussi que, quoique tu feras, tu souffriras. Alors, pourquoi se retenir de quoique ce soit ? Ce n'était pas comme si tu étais du genre à abandonner. Non, toi, c'est se tomber sept fois, se relever huit. Toujours. Ça va pas de pair avec ta détermination. Tu sais que le monde est sombre, mais tu sais aussi que certaines choses valent la peine d'être vécues.
Et ce que tu sais, par-dessus tout, c'est que tu détestes abandonner. Ce n'est pas toi. Non, tu te relèves, toujours. Tu es vaillante, tu es forte. En fait, tu n'as pas le droit d'abandonner. Tu ne te l'autorises pas.

Innocence, Innocence. Quand as-tu été innocente pour la dernière fois ? Il y a longtemps, bien trop longtemps. Tes yeux d'émeraudes ne semblent voir que la douleur, la conserver au creux de ton cœur pour oublier le bonheur. Mais tu gardes espoir. Quelque part, tu trouves ça si stupide. Ce n'est pas comme si tu aimais les autres, après tout. Mais qu'est-ce que tu peux faire d'autres qu'avancer ? Rien. Et puis, il t'en voudrait si tu ne le faisais pas, hein. Tu le sais très bien. Alors tu avances.

« open the walls
play with your dolls »

Silence. C'est le silence. Un effroyable, assourdissant silence. Un de ceux qui sont lourds. Lourds de sens, lourds de sentiments, lourds de détresse, lourds de désespoir. Et tu es là, toi, dans cette salle remplie de gens mais vide de joie. Tu es là, comme un défaut, comme une mauvaise note dans une partition. Accompagnée d'une autre mauvaise note. Lui. Ton frère jumeau. Des légers sourires, quelques grimaces. Une occupation comme une autre. Un stratagème bien vite repéré par ton père, qui vous ordonne sèchement d'arrêter.
Et tout revient au début, ce silence insupportable que tu dois pourtant supporter, sans aucune distraction. Tu t'ennuies, tu t'ennuies comme un rat mort dans cette fête de famille. Surtout que tu le sens, qu'ils ne vous apprécient pas tellement, toi et ton jumeau. Tu sens leurs regards froids. Mais en quoi es-tu responsable si maman est montée au ciel quand tu es née, hein ? Tu n'y peux rien, strictement rien, mais tu dois endurer leur rancœur.

« when you walk away,
it's when we really play »

Un peu plus âgée. À peine. Tu es avec lui, encore. Tu comptes sur lui, il compte sur toi. Vous êtes la famille de l'autre. La seule famille. Ton père ? Ah, il vaut mieux ne pas compter sur lui. Vous ne seriez pas là, il s'en rendrait à peine compte – juste parce qu'il aurait à faire les courses moins souvent. Toujours ensembles; comme si c'était une évidence. L'archétype des jumeaux fusionnels, et bien plus que ça en même temps. Car vous ne pouviez compter que sur vous-même. Compter sur lui, sur ce paternel défaillant ? Non, non, c'était impossible. Tu ne comprenais pas réellement ce qu'il faisait, mais tu savais que ce n'étais pas normal. Vous le saviez tous les deux. Mais vous fermiez les yeux, pensant que c'était mieux ainsi.

« no one ever listen,
this wallpaper glisten,
don't let them see what goes down in the kitchen »

Encore plus âgée. Plus solide, plus réaliste. Enfin au collège. Toujours avec lui, toujours la même chose. Mis à part que maintenant, tu savais mieux ce que faisait ton père. Mais quelle importance, pour toi ? C'était un inconnu. Les liens du sang ne signifient rien, c'est la relation qu'on bâtit avec qui importe. Et cette relation, elle était inexistante. Totalement. C'était une habitude, mais aussi un manque. Ton jumeau jouait parfois le rôle de ton père, tu jouais parfois le rôle de sa mère. Vous n'aviez besoin de personne. La souffrance était normale, le silence aussi. Ne rien dire, faire les gens normaux. Ne pas se créer de problèmes, garder la réputation de la famille intacte.

« places, places,
get in your places,
throw on your dress
and put on your doll face  »

Un masque constant, porté à chaque instant. Un peu plus léger que si il était porté seul, car vous étiez deux. Même si vous vous considériez comme les deux parties d'une seule âme, vous connaissiez vos différences, et elles n'étaient pas que physiques. Mais peu importait. Vous étiez peut-être juste tous les deux face aux autres, mais vous étiez déjà tous les deux. Peut-être seuls, mais seuls à deux. Votre chance, vous la connaissiez. Avoir des bras dans lesquels pleurer, des paroles réconfortantes lorsque le besoin se faisait sentir. Ce n'était pas tout le monde qui avait ça.

« picture, picture,
smile for the picture »

Les années passaient, inlassables, semblables. Les photos de classes s'entassaient, jetées dans un coin aussitôt obtenues. Que des hypocrites, comme d'habitude. Murmurant sitôt que l'un tournait le dos. Que des égoïstes. Se plaignant des autres à chaque personne, cherchant à avoir le plus parfait possible. Comme si tout le monde l'était. Comme si il existait des gens purs. Dans ce monde, personne ne l'était. Il n'y avait rien de pur, dans votre manière de vous cacher des autres, même si c'était une protection. Il n'y avait rien de pur, dans les substances que vendaient votre père, invitant des gens douteux dans la cuisine – qui était aussi son « laboratoire ». Mais c'était un secret, évidemment. Aux yeux de tous, votre famille était parfaite. Et vous étiez complices. Même si c'était pour vous protéger, encore une fois. Même si c'était pour rester ensembles.

« everyone thinks that we're perfect,
please, don't let them look through the curtains »

Mais il arriva un problème, durant cette année de lycée. Celle d'entre 15 et 16 ans. Il y avait cette fille, qui savait tout. Après tout, la marchandise de votre père, elle connaissait. Et passait régulièrement à la maison. Et elle en profitait, commençant à vous faire du chantage. Mauvaise idée. Car vous n'étiez pas faibles, et encore moins du genre à pardonner. Et ces cicatrices sur ses bras, vous les aviez bien remarqués. Certaines très récentes, d'ailleurs. Tout le monde se doutait qu'elle prenait des « pilules magiques », aussi. Le nombre de rumeurs lui courant sur le dos était assez impressionnant. Vous ne firent pas preuve de douceur. Toi, encore moins que lui. Elle avait osé s'attaquer à vous – à lui, surtout. Et lorsqu'il s'agissait de le protéger, tu devenais encore plus violente que d'habitude. Et la violence psychologique, tu étais tout à fait capable de t'en servir. Ce n'est pas parce que tu te servais majoritairement de tes poings que tu ne savais pas que les mots sont la meilleure arme.
Elle devint la risée de tous, et surtout la vôtre. Plus personne ne croyait en ces mots, en elle, et tu continuais à la torturer avec tes phrases. Tu la détestais, véritablement. Pour ce qu'elle avait tenté de faire, ce qu'elle avait voulu détruire, alors qu'elle ne valait pas mieux que vous – alors qu'elle valait pire que vous. Haine, haine, qui l'horrifiait presque. Lui. Il ne comprenait pas ta réaction, il trouvait que tu allais trop loin. Peut-être n'avait-il pas tord. Mais tu avais la rancune réellement tenace, et tu n'étais pas aussi prompte à pardonner. Tu dû cependant le faire, lorsque la relation avec ton jumeau commençait à sérieusement se dégrader. Et ça n'en valait pas la peine.

« d »

Ton année de première se passa  sans évènements particuliers. Monotone, routinière, ennuyante. Toujours ce masque, mal-être, auxquels s'ajoutaient ces douleurs psychologiques d'adolescents. Mais toujours des bras réconfortants, aussi.

« o »

Vint l'été. Cet été, qui débuta normalement. Presque comme un rêve. Mais qui finit en véritable cauchemar. Le 15 Août, une date gravée dans ta mémoire à jamais.

« l »

Tu n'avais jamais pensé que des clients de ton père pourraient lui en vouloir, d'une quelconque façon. Et encore moins à ce point. L'idée qu'ils puissent enflammer la maison ne t'avait jamais effleuré l'esprit. Et vu sa tête, à ce moment, ça n'avait jamais effleuré son esprit non plus.

« l »

Aussitôt, vous avez commencé à courir, vous ruant sur l'escalier, jetant des coups d'œil aux murs déjà léchés par les flammes. Il hurla brusquement. Tu te retournas, puis regarda au-dessus de toi. Une poutre enflammée te tomba dessus. Les flammes nécrosèrent ton corps, sous tes hurlements d'agonie. Et il te fixait, horrifié, tétanisé, les larmes roulant sur son visage immobile.

« h »

Tu étais censée être morte. Mais tu te réveillas, et c'était encore le 15 Août. Les mêmes flammes. Tu te levas, et il était encore avec toi, mais tu évitas l'escalier. Mais en sautant par-dessus la rambarde, tu n'avais pas pensé à la réception. Tu te ratas lamentablement, incapable de marcher à cause de ta cheville. Il ne le remarqua pas tout de suite, et avança. Lorsqu'il se retourna, tu t'attendais à l'expression qu'il fit. La rambarde, en morceaux, te tomba dessus. Tu étais incapable de bouger, et lui hurla de partir. Mais il resta avec toi, il tenta de t'aider. Bien avant que les flammes ne vous atteignent, l'oxygène qu'elles avaient rongé vous manquaient, et ce manque prit vos vies.

« o »

Routine. Mais une autre routine. Douloureuse, sanglante. Des cendres, un cauchemar sans fin. Mort, mort, mort. Parfois seule, parfois à deux. Mais c'était mieux ainsi. Le voir mourir, jamais. Tu n'aurais pas supporté. Combien de fois ? Tu ne savais pas. Où était ton père ? Flou total. Mais une idée t'obsédait : si seulement tu pouvais casser ces obstacles qui causaient ta mort. Si seulement...

« u »

Douleur, douleur, douleur. Une ronde incessante, qui te donnait le tournis, la nausée. Tu hurlais. À chaque fois – chaque jour ? Mais était-ce vraiment des jours ? Ou un rêve dont tu te réveillerais dans un état lamentable ? Il fallait que tu te relèves, que tu réessayes pour le savoir. Mais est-ce que tu désirais véritablement connaître la vérité ?

« s »

Perdue. Encore une fois, encore un nouveau chemin – ou ce qui te semblait être nouveau. Mais perdue dans le temps, avec un mal de crâne constant. Une nouvelle mort, une énième, c'était ce qui allait t'arriver. C'était une évidence, inscrite dans ton cerveau. Tu n'avais même plus la force d'espérer. Impuissante, faible, pitoyable. C'était comme ça que tu te voyais, et ça te dégoûtais.

« e »

Seulement, cette fois, c'était différent. C'était la dernière mort. Mais pas la tienne. Tu courrais dans le couloir, afin d'atteindre l'autre escalier. Alors que tu descendais brusquement les escaliers, il te tira violemment en arrière, et tu tombas sur les marches.

« dollhouse »

Et l'escalier s'écroula sous lui. Les flammes atteignirent son corps, le dévorant. Tu vis sa peau se noircir. Tu réalisas ce qu'était vraiment l'impuissance. Tu sentis l'odeur de la chair brûlée. Non, c'était impossible. Et tu le regardas, une dernière fois, fixant son visage brûlé. Et tu te sentis petite, petite, petite. Un poupée dans la maison qu'était le monde. Un léger sourire s'était emparé de ses lèvres. Un cri s'échappa de tes lèvres. Mais provenait de tes entrailles. Un cri viscéral, d'agonie. Un mot, un seul. Un nom. Hope.

« i see things... »

Un peu de temps avait passé. Tes yeux viraient parfois au rubis, et un objet se retrouvait à chaque fois cassé. Mais quelle importance ? C'était trop tard. Tu continuais à vivre, sans trop savoir quoi faire. Vide. Et seule. Terriblement, inexorablement seule. Il te manquait. Il n'était plus là pour porter ce masque avec toi, pour te prendre dans ses bras et te confier des mots rassurants.
Mais ça aurait été une injure que de ne pas avancer, alors qu'il avait donné sa vie pour la tienne.

« … that nobody else see »

La seule chose que tu pouvais faire, c'était voir si des gens avaient ces même yeux rouges. C'était une quête sûrement vaine, mais qui te guiderais dans ta vie.