NE FAIS PAS COMME SI TU COMPRENAIS ! Est-ce que tu sais seulement ce que l'on peut ressentir lorsque l'on vit dans l'ombre de quelqu'un ?!
Toi, pauvre petite Lucille. Oui, toi au passé que tu détestes tant. Tu es née à Londres le 1er avril; une sacrée blague n'est-ce pas ? Pourtant ta vie n'a rien de drôle, même pas pour ton anniversaire. C'est à peine si les gens s'en souviennent de toute manière. Enfin, commençons par le commencement. Tu as vu le jour dans une famille où le père était absent pour des raisons obscures : il aurait pris la fuite en apprenant l'heureux événement que tu étais, une deuxième fille était probablement un trop lourd fardeau au point qu'il aille flirter à droite et à gauche. Était-ce une raison suffisante ? Non, pas forcément : pourtant tu ne lui en voulais pas.
Pas au départ en tout cas. Bébé, ta maman t'aimait énormément et ta grande sœur également, tu coulais des jours heureux en leur compagnie et jamais tu n'aurais pu te douter que le monde, aussi coloré soit-il, puisse être aussi pourri dans le fond et veuille te jouer de sales tours. Non, tu étais bien trop aveuglée par l'amour que tu recevais.
En grandissant tu commenças à te démarquer de ta grande sœur, et très vite un gouffre immense se créa. Elle; la petite fille parfaite, celle dont tout le monde pourrait rêver et toi; enfant bien trop immature d'apparence, ne cherchant pourtant qu'à attirer l'attention. Oui tu l'avais vite remarqué, l'image de cette mère aimante s'éloignant progressivement de toi sans que tu puisses y faire quoi que ce soit. Elle te délaissait au profit de sa fille sortie droit d'un conte de fée et tu avais beau essayer d'être comme elle, au final cela ne changeait rien : les maux de votre relation ne venaient pas de là, non; c'était bien plus profond que cela, et bien plus ancien. Ton père, oui cette ordure, en était la cause : ta propre mère te considérait presque coupable de son départ, mais ça encore ça allait, ça pourrait être pire.
Bien vite tu fus comme oubliée, jetée aux oubliettes : tout le monde ne voyait plus que ta sœur, et toi ? Tu vivais dans son ombre. Tu fus également forcée à rester enfermée dans ta chambre au bout d'un moment, comme si tu étais un objet de honte que l'on refusait de montrer à son entourage. Pourquoi ? Tu ne le comprenais pas. Certes ta sœur venait te tenir compagnie autant qu'elle le pouvait, aussi régulièrement que votre mère vous le permettait, mais ce n'était pas suffisant : tu te sentais affreusement seule et tu pleurais, parce que tu voulais qu'on t'aime malgré tout. Le peu de fois où tu voyais le visage de ta mère tu essayais de lui sourire pour ne pas montrer ton chagrin, parce que tu espérais qu'elle soit heureuse à nouveau et qu'elle te prenne enfin dans ses bras. De temps à autre elle te lançait un très faible sourire avant de refermer la porte, un geste de chaleur s'envolant en quelques secondes seulement. Serrant ton nounours contre toi, tu regardais sans arrêt la porte avec un regard vide, comme si tu attendais qu'elle s'ouvre.
L'heure de partir au Japon arriva, tu ne t'en souviens pas parfaitement car tu n'avais que huit ans à l'époque : c'est un peu vague, cette époque, mais tu sais que ce n'était pas bien différent du reste de ton existence. Pendant le voyage en avion tu avais été forcée de te taire et tu étais restée bien sage au fond de ton siège, en faisant tout pour ne pas te faire remarquer : c'était la condition imposée par ta mère et tu espérais encore qu'en lui obéissant elle finirait par te redonner de l'affection, comme elle le faisait autrefois. Néanmoins elle n'hésita pas à te montrer clairement la raison de son rejet envers toi : tu ressemblais beaucoup trop à ton père mais ça, ce n'était pas de ta faute. À l'inverse, si elle tolérait ta sœur c'est parce qu'elle lui ressemblait à elle, et non à ce lâche vous ayant abandonnées toutes les trois. Entre Londres et la campagne près de Mekakucity, tu ne fis pas grande différence : de toute façon, tu restais enfermée sauf pour étudier.
L'amour d'une mère; c'était ce dont tu rêvais. Quelle fut ta joie lorsque tu appris que tu pouvais enfin sortir de ta chambre pour autre chose que l'école, parce qu'elle n'était pas là ! Jouer dehors, cela était devenu si rare que tu te demandais comment allaient les fleurs. Alynie, ta grande sœur adorée, t'avait entraînée à l'extérieur pour te montrer l'étendue d'herbe de la nature à votre disposition. Ahh, ce que vous aviez pu rire, cet après-midi là à vous rouler dans la pelouse ensemble, à courir après les papillons et autres bêtises ! Ton visage qui avait été si vide de vie avait radicalement changé, et voilà que tu souriais aux anges. Rien n'aurait pu troubler, mais ça c'était ce que tu croyais, bien évidemment. Très vite le drame arriva, sans que tu ne puisses rien faire. Au niveau d'un petit étang, tu avais vu cette petite fleur magnifique mais tu savais que c'était trop dangereux et que de toute façon, ta mère allait rentrer : tu devais alors retourner dans ta chambre au plus vite. Alynie t'avait vue la regarder, et c'est pour cela qu'elle avait tenté de te la cueillir. Ce n'est qu'au moment de voir sa longue chevelure blonde s'envoler au fil de sa chute que tu compris.
«
ALYNIE NON ! QUELQU'UN, S'IL-VOUS-PLAÎT ! »
Tu pleurais toutes les larmes de ton corps, essayant de la sortir de là même si tu ne savais pas nager. Quelle belle erreur ce fut, de plonger dans l'eau sans songer à ce détail avant. Au moment où tu sentis ta conscience s'en aller malgré tes efforts, ton petit corps tenant celui de ta sœur du mieux que tu le pouvais, tu sentis que quelqu'un tentait de te sortir de l'eau. Quand tu revins finalement à toi, tu entendis des pleurs non loin. Tu reconnaissais la voix de ta mère et même si tu étais sa fille, tu savais que ce n'était pas parce qu'elle était inquiète pour toi mais là n'était pas ta préoccupation majeure. Soulevant difficilement ton corps engourdi par la faiblesse d'avoir frôlé la noyade, ton regard azuré se mit à chercher ta sœur. Ce n'est qu'en sentant le regard désespéré de ta mère et de ton sauveur que tu compris que quelque chose n'allait pas. L'homme, assez hésitant au départ, finit par m'annoncer la mauvaise nouvelle.
«
Je suis désolé, je- je n'ai pu en sauver qu'une sur les deux même si je les ai sorties ensemble... »
Ce fut comme si ton monde venait de s'effondrer. Et oui petite Lucille, la seule personne qui avait daigné te porter compagnie avait à présent quitté ce monde, pourquoi ? Simplement parce qu'elle avait voulu te faire plaisir. Ahh, ce que tu avais pu pleurer, implorer le pardon d'une mère qui te rejetait la faute dessus une fois de plus. Il allait de soi que tu te considérerais toujours comme responsable du décès de ta sœur, après tout tu portais malheur à ton entourage. Comme pour noyer son chagrin, et aussi se dire que sa Alynie n'était pas celle qui était morte, elle te força à agir comme elle, à laisser pousser tes cheveux de la même manière, à porter les mêmes vêtements. Et toi, aussi idiote que tu étais tu la laissais faire, parce que tu pensais que ça allait la rendre heureuse et c'était tout ce qui comptait.
Sauf qu'elle perdait progressivement la tête, un coup elle te frappait et quelques secondes après elle te serrait dans ses bras en pleurant toutes les larmes de son corps; mais sa folie te faisait un peu peur. En dehors de cela, tu appréciais les moments d'affection, de chaleur qu'elle pouvait t'offrir même si dans le fond tu savais que cet amour était faux, qu'il ne t'était pas destiné à toi mais à ta sœur, celle que tu étais censée remplacer. Et même si tu avais l'air heureuse, en réalité ça te tuait petit à petit et tu dédiais inconsciemment ton être à devenir celle que tu n'étais pas même si tu avais toujours voulu être comme elle. Alors avec toute la tendresse que tu pouvais offrir tu la rassurais, lui disant que tu ne lui en voulais pas malgré les bleus sur ton corps et les tremblements dans ta voix et dans tes muscles qui te trahissaient. À l'école tu commençais à te lancer dans des défis stupides comme grimper aux arbres, afin de faire croire que ces blessures n'étaient pas dues à de la maltraitance mais simplement à un mauvais comportement.
Je suis désolée... tellement désolée...
Alynie
Ce petit jeu avait duré jusqu'au 15 août de tes douze ans. Tu avais tout fait jusque là pour te comporter de manière exemplaire malgré le comportement de plus en plus affolant de ta mère : tu voulais la fuir, mais pour aller où ? Tes jambes, dans un tel état, ne pourraient te mener nulle part de toute manière. Tu avais même été forcée de prétendre être malade pour ne pas que l'on te voit, pour ainsi dire à quel point elle s'était lâchée cette fois-ci. Pourtant tu n'avais rien fait de particulier, c'était simplement ses nerfs qui disjonctaient complètement. Tu t'en voulais alors que n'avait aucune raison de t'en faire pour ça, car tu n'étais en aucun cas responsable de ses agissements. En même temps elle t'avait tellement répété que tu étais la cause de tous ces problèmes que forcément, tu avais limite subi un lavage de cerveau. Elle t'avait même privée de ton identité, à force de t'appeler Alynie. S'il n'y avait pas eu ces souvenirs pour te le rappeler, tu ne te souviendrais probablement plus de ton véritable nom.
Ce 15 août tu n'avais pas prévu qu'elle serait dans un état encore pire que d'habitude. Tu faisais tout pour l'éviter, pour sûr : sa folie finirait par ne plus avoir d'égal un jour, alors tu préférais prendre tes précautions avant qu'elle ne te batte à mort. Cependant, en la voyant plutôt normale tu fus inconsciemment attirée, plus curieuse que tu n'aurais dû l'être. Sauf qu'une fois à sa portée, tu te rendis compte que ses yeux ne reflétaient plus rien et lorsque tu aperçus les photos de ton père sur la table, tu compris qu'il était trop tard pour fuir. Lorsqu'elle remarqua ta présence elle laissa échapper un sourire effrayant et se leva lentement, s'approchant de toi sans dire le moindre mot. Au fur et à mesure qu'elle avançait tu reculais, ton regard affichant tout le trouble de ton âme à cet instant précis.
Puis tes iris vinrent finalement se poser plus bas, sur quelque chose qui avait attiré ton attention. Dans sa main, il y avait un couteau. Et ses intentions furent d'autant plus clair lorsque son rire se mit à résonner entre les quatre murs de la demeure : oui, tu savais que quelque chose n'allait pas dans sa tête et que ce qu'elle tenait, ce n'était pas pour cuisiner mais pour autre chose. Tu te mis alors à courir maladroitement, tombant à plusieurs reprises à cause de la douleur de tes bleus. Mais il était impossible que tu lui échappes, n'est-ce pas ? Après tout... c'était ton destin de mourir entre ses mains. On aurait dit un chasseur traquant sa proie, seulement ce n'était pas ton tour de la pourchasser et c'était loin d'être un jeu, tu l'avais bien compris.
La lame te traversant le ventre te força à t'arrêter, tes mains se posant sur la plaie béante dans ta peau. Tu tournas alors la tête vers elle, l'implorant du regard mais tu te retrouvas vite à terre, ta mère était devenue le monstre qui allait t'ôter la vie. Un coup ne fut pas suffisant pour la faire revenir à la raison contrairement à d'habitude alors elle continua de s'acharner sur ton pauvre corps, répandant ton sang au sol comme si elle souhaitait en changer la couleur. Ce fut très douloureux, et l'instant où ta conscience commença à s'envoler fut comme une libération pour toi, toi qui pensais en avoir enfin fini avec cette souffrance qui te tourmentait l'estomac. Pourtant, tu aurais souhaité qu'elle n'affiche pas cet air effrayant sur son visage... oui : tu aurais préféré qu'elle te fasse un sourire chaleureux, au moins pour tes derniers instants. Tu aurais tellement aimé pouvoir la faire revenir à la raison, qu'elle te fasse enfin un magnifique sourire au lieu de ses larmes habituelles ou de cette tête terrifiante qu'elle arborait, penchée au-dessus de ton cadavre.
Try again ?
Tu te réveillas soudainement : 15 août. Tu ne compris pas au premier abord, car tout cela n'était qu'un cauchemar, rien de plus. Pourtant, il y avait cette impression de déjà-vu qui revenait sans cesse et qui t'empêchait de faire quoi que ce soit. Chaque fois, tu revoyais son visage défiguré par la folie et l'envie de torturer.
Les humains te faisaient peur par sa faute. Et tu avais beau courir aussi vite que tu le pouvais elle te rattrapait toujours, et tu ressentais sans arrêt cette même douleur. Tu te demandais pourquoi tu n'arrêtais pas de revoir cette scène, en songeant même que si cela se trouvait tu étais déjà morte depuis longtemps et que tu ne faisais que revivre ta douleur afin de réparer le mal que tu avais pu faire alors que tu étais encore en vie. Pourtant tu n'avais rien à te reprocher, tu avais toujours fait ce qu'elle voulait que tu fasses, tu avais même accepté de renier ton existence en tant que Lucille McDowell, pour prétendre au nom d'Alynie McDowell.
It's time for you to escape, my dear lamb.
Ce cauchemar, revenir au 15 août... tout cela te hantait au point que dès le réveil tu tremblais, tu pleurais sans trop comprendre pourquoi. Si ce n'était qu'un rêve, pourquoi le revivre tant de fois ? Alors tu te dirigeais encore et toujours vers un endroit où tu pourrais te cacher, mais c'était futile. Tu étais même presque prête à "mourir" plus vite cette fois, si c'était pour éviter d'avoir à endurer la souffrance et la vision de ce visage corrompu par la haine qu'était celui de ta mère. Lorsque la lame te transperça à nouveau l'estomac, pour une fois de face, une montée d'adrénaline se fit en toi. Malgré la douleur de ton ventre, le sang qui venait à tâcher le haut de ta robe et son odeur se mêlant à la chaleur de l'été, tu la poussas brutalement. D'un geste sec tu ôtas le couteau de ta plaie sous le regard abasourdi de ta mère, qui se mit à trembler en te regardant.
«
Mon dieu, oh mon dieu... qu'est-ce que j'ai fait... pardon... pardon ... »
Et tu pris la fuite sans lui laisser le temps de se racheter cette fois. Contrairement à d'habitude tu ne l'avais pas prise dans tes bras en lui disant que ça irait, non : parce que ça n'irait plus jamais. Courant du mieux que tu le pouvais, pieds nus qui plus est, tu finis par tomber à l'entrée de la ville, la perte de sang ayant été si importante que tu en avais perdu conscience. Tu ne savais pas ce qu'il était advenu de ta mère, mais moi, je le sais : emportée par le désespoir et la honte de son péché, s'étant rendue compte de ce qu'elle avait fait et à quel point la folie l'avait rongée, elle s'est servie de la même lame qui avait servie à te poignarder afin de mettre fin à ses jours, dans cette maison où vous aviez vécu toutes les trois, là où tous tes souvenirs se trouvaient, que ce soient ceux auxquels tu tenais ou ceux dont tu voulais te débarrasser. C'était la fin d'une tragédie, dont tu étais l'héroïne.
Au moment de ton réveil, quelques jours plus tard, tu te mis à paniquer en regardant tout autour de toi. Un décor non familier, des gens que tu ne connaissais pas... de quoi te rendre folle. Ils avaient été assez gentils pour te recueillir et pourtant tu les craignais, parce que tu savais qu'une personne d'apparence douce pouvait cacher bien des vices : ta mère était comme ça. Cependant tu n'avais nulle part d'autre où aller alors tu étais restée avec eux, ceux qui t'avaient adoptée toi parce qu'ils ne pouvaient pas avoir d'enfants. Tu étais leur miracle et ils auraient pu être ton rayon de soleil si ton traumatisme de la race humaine n'avait pas été aussi grand. Ahh, il t'en a fallu du temps pour t'habituer à leur présence, à leurs sourires chaleureux et à leur douceur.
Ils se disputaient assez régulièrement, et c'était parfois assez violent. Même si ça te faisait peur, tu savais que c'était cette femme, la plus à plaindre. Elle pleurait sans arrêt et craignait que son mari ne la quitte. Celle que tu refusais d'appeler "maman", ou même "belle-maman" en te disant que c'était ce "rang" qui rendait les femmes folles. Pourtant ces larmes, elles t'affectaient de plus en plus si bien qu'un soir, tu l'avais enlacée par derrière. Elle avait eu l'air si surprise ! Et pourtant cette chaleur seule n'avait pas suffi à lui faire arrêter ce flot de tristesse coulant le long de ses joues, et tu ne savais pas trop quoi faire d'autre. Ainsi tu t'agenouillas devant elle en la regardant droit dans les yeux, tenant ses mains dans les tiennes en lui souriant pour la première fois.
«
Ne t'en fais pas maman... ça ira bientôt mieux alors souris, d'accord ? »
Ce fut là la première manifestation de ton "pouvoir". Un désir de lui faire changer d'humeur tel qu'elle avait soudainement commencé à te sourire, sans trop comprendre pourquoi. Toi non plus tu n'avais pas compris, mais tu t'étais dit qu'au moins, tu avais pu servir à quelque chose ! Quand ses esprits lui revinrent finalement et que sa gorge se dénoua elle posa sa main sur ta tête, t'ébouriffant avec délicatesse les cheveux. Cependant l'air confus sur son visage t'intrigua clairement, et tu penchas même la tête sur le côté pour essayer de comprendre ce qui n'allait pas. Evidemment, comme tu n'avais pas de miroir face à toi, tu ne pouvais pas comprendre. Le plus surprenant fut qu'elle n'avait pas eu peur de toi à cet instant-là, alors que ce qu'elle te fit remarquer était tout de même quelque chose d'effrayant, puisque ça te fit peur à toi.
Lulu, tes yeux... pourquoi sont-ils passés du bleu au rouge ?
Pourquoi est-ce que je me sens mieux simplement en les regardant ?