••• outta my way ! ft. kitamura rui [TERMINÉ]

FEAT. Mikumo

Et ça continuait. Des cris, des acclamations, des crayons et des ciseaux qui volaient. Non, franchement, ça ne ressemblait plus à rien. Le cœur de ces gens ne devait plus ressembler à rien. Rui avait simplement l’image de milliers de rayures noires à l’emplacement du cœur de ces personnes. Ha, c’était insupportable, il avait beau monter le son de son iPod, il avait l’impression de toujours autant entendre le chahut incessant. T’es vraiment au mauvais endroit au mauvais moment. Mais tu peux encore fuir, la porte est juste à quelques pas. Tu peux les fuir. Tu peux le fuir.  

« Je comprends pas. »

De nouveau. Ses jambes refusaient de bouger, comme si sa voix le vissait sur place, l’obligeant à écouter ses spéculations et questions. C’était insupportable, mais il ne faisait rien pour l’en empêcher. Il l’avait supporté depuis un moment, quelques minutes de plus ne pouvaient le tuer. Oui, il fallait juste qu’il attende que le temps passe et il n’aurait plus à le supporter par la suite. Seulement à le fuir. Le fuir pour ne plus faire face à ses questions auxquels les réponses ne seront jamais claires car teintées par l’indifférence qui règne en lui.

« T'essayes de te faire passer pour quelqu'un d'inaccessible, ou t'en as juste vraiment rien à faire de toi ? Dans ce cas, pourquoi tu cherches à éviter de te faire du mal ? C'est juste ... pas logique. »

Cette remarque lui arracha un sourire très discret. Personne ne pouvait le noter sans le regarder attentivement. Il avait raison. Il n’était pas logique. Lui qui détestait l’illogisme l’était quand même. Ca paraissait sûrement ironique. Il se fichait bien de se faire passer pour quelqu’un, il n’en avait simplement rien à faire. Si le monde évolue sans lui, tant mieux. Un jour il sera sur la touche et disparaîtra, voilà tout. Parce qu’au final, t’es qu’un être humain sans intérêt à qui la mort n’influencerait personne. Car tu ne connais personne. Tu n’es raccroché à personne. Ça leur semble aberrant, à eux, les humains. Mais tu t’en fous. Toi, si l’on te dit que tu vas mourir demain, tu ne fais rien.

« Pas logique … ?, murmura t-il doucement. Je me fiche de ce qui m’arriveras demain, mais je ne veux pas me blesser … Illogique … Parce que je suis humain, c’est tout. Comme on dit, l’humain est remplit de contradictions, et même si je ne supporte pas les autres … Je suis moi-même rempli de contradictions … Je crois. »

Il s’était calmé, son ton plat et monotone, sans aucun signe de vie était réellement revenu, au milieu du bordel monstre que formait la salle.  Les nombres, flèches, quadrillages et tout autre signe qui remplissaient son champ de vision disparurent peu à peu. Ainsi que cette couleur rouge. Enfin. Enfin ça avait disparu. Enfin il entendait clairement le son défilant dans ses oreilles, les bruits aux alentours amoindris. Mais il ne bougea pas. Non. Peut-être voulait-il voir la réaction de ce garçon. Si imprévisible. Alors ses yeux verts feuille continuaient à le fixer, sans bouger, morts.

FEAT. Mikumo

« Donc si j'ai tout suivi, tu te supportes pas ? Non, décidément, je te comprends pas. »

Personne. Personne ne pouvait le comprendre. Il était plongé dans son indifférence, une vision du monde que personne n’arrivait à saisir, que personne ne parvenait à capter pour l’en sortir. Ce sentiment était trop profondément ancré en lui pour qu’il ne change. Comme une partie intégrante de son esprit, il ne se voyait pas voir le monde avec mille couleurs. Le gris suffisait amplement. Quelques nuances étaient déjà presque désagréables à ses yeux. La seule autre couleur qu’il distinguait sans le vouloir était l’écarlate qui avait orné les yeux de celui qui se tenait derrière lui. Une couleur si désagréable. Si agressive. Si destructrice. Il la détestait, la haïssait, la repoussait de toute son âme. Cette couleur maudite qui dévorait sa vie petit à petit.

C’est quand il balança sa chaise que ces maudits calculs revinrent hantés ton champ de vision. Il suffisait d’un coup de pied bien placé et il tombait. Il allait se taire. Juste une poussée. Un simple coup derrière une de ses barres métalliques. Un coup et tu peux fuir. Il avait l’angle, la mesure, l’inclinaison. Toutes les mesures nécessaires pour lui faire perdre son équilibre. Son corps devait maintenant bouger. Il amorça le mouvement avant que ses paroles ne l’interrompent. Encore.

« Laisse-moi deviner. Ce n'était qu'un test, une manière de vérifier ton hypothèse. T'es indifférent mais tu refuses de te faire du mal. T'es indifférent à ton entourage sauf quand il te dit que tu te victimises. Tu serais pas une de ces personnes qui ne s'aiment pas mais n'arrivent pas, ne veulent pas, s'empêchent inconsciemment de changer, par hasard ? »

Son regard écarlate resta planté longuement dans le sien. Oui, il ne supportait pas qu’on dise qu’il se victimisait. Et il n’aimait pas se faire du mal pour rien. Ou du mal tout court. Peut-être l’avait-il cerné. Lui ? Le cerner. C’était impossible. Si son propre grand frère n’y était pas parvenu avant de disparaître il ne sait trop où, comment ce garçon avait-il réussi ? Il devait se tromper quelque part, il avait forcément tort sur un point. C’était obligé. Le bruit de sa chaise sur le sol le fit presque sursauter si la salle avait été silencieuse, ce qui n’était pas vraiment le cas.

« Ou alors, t'es juste prodigieusement égocentrique. Tu vis dans un monde et tout ce que tu trouves à faire, c'est exister tout seul, dans ton coin ? Dans ce cas, pourquoi ne pas sauter par la fenêtre ? Ça n'aura pas de différence avec la vie que tu mènes ici, si ... ? »

Son corps s’emplit soudainement d’un frisson incontrôlable. La fenêtre. Non. Tout mais pas la fenêtre. La hauteur t’effraie, hein ? Non. Non. Pas ça. Sa main vint se crisper au bord de celle-ci, comme si la peur de tomber l’avait soudainement envahi. Mais c’était ça. La peur. La peur de rencontrer le sol à cette hauteur. Il ne savait pas d’où cette peur venait, il l’avait, voilà tout. Ah, t’aurais mieux fait de le faire tomber, tu crois pas ? Il s’aventure en terrain dangereux et c’est toi qui en paieras les frais. Le regard de Rui, malgré son indifférence, commençait à laisser apparaître une légère pointe de colère. Pourquoi. Pourquoi tant de questions.

« Par la … Fenêtre ? Ha … Ca n’aurait pas d’importance, sûrement … Tu as sûrement raison … Mais pourquoi tu cherches autant à savoir ? Comme si ça allait t’apporter quoi que ce soit  … »

Son ton baissa à ce dernier mot et son regard écarlate se vissa durement dans le sien.

« Emettre des hypothèses pour essayer de comprendre … Est-ce que tu ne te sentirais pas un peu … Seul, pour faire ce genre de choses ?, marmonna-t-il sans couleur dans sa voix. Tu comprends, réfléchis et change les gens pour qu’ils conviennent à ta … Vision du monde ? Ou alors ce n’est qu’un passe-temps. Dans les deux cas, c’est … Ennuyeux. Tu es ennuyeux… ».

Alors il se tourna. Il l’avait écouté, regardé, s’était énervé contre lui, mais il n’avait plus assez d’énergie. Il était redevenu un des leurs. Ceux dont ils ne sentaient même pas la présence.

FEAT. Mikumo

« Oh, vraiment ? Mais je suis on ne peut plus sérieux, monsieur ... C'est quoi ton nom déjà ? … »

Ses paroles paraissaient de plus en plus vagues alors que Rui plongeait sa tête dans ses bras. Il n’en pouvait plus. Toutes ces questions qu’il lui posait et finissait par envahir son esprit. Il avait dit le trouver ennuyeux mais en réalité, c’était lui-même qui était le plus ennuyeux. Tout lui semblait si fade, sans intérêt. Même si cette discussion avait été animée par des sentiments inconnus, il s’obstinait à penser qu’elle n’avait pas de but. Pour lui en tous cas. Pour ce garçon, ça devait être tout autre chose. Nouveau soupir, quelques paroles parvenaient à ses oreilles comme un écho qu’il oubliait par la suite. A quoi bon l’écouter encore si c’est pour que son esprit se comble de questions auxquels il n’aura pas les réponses. De plus, son mal de tête ne faisait qu’accroître à cause de ses fichus yeux rouges.

Sa voix n’était devenue qu’un murmure, comme celles des autres qui s’étaient énervés d’un seul coup et celle du prof qui paraissait confuse au milieu de ce chahut incessant. Ca ne pouvait qu’empirer son mal de tête qui grandissait encore et encore, si bien que s’il avait été debout, il en aurait perdu l’équilibre. Fichu migraine … T’es bien trop fragile physiquement, et il vient de te prouver que psychologiquement, tu es plus faible que tu ne le pense. Ressaisis-toi, lève-toi, fuis, fais quelque chose ! Mais il avait beau s’encourager mentalement, ses forces ne lui venaient pas. Il savait bien qu’il n’avait aucune volonté, mais de là à ce que son corps ne lui obéisse pas, il en aurait presque été désespéré. Alors, comme pour pallier le brouhaha, il monta le son au maximum. Ses pauvres tympans s’y étaient habitués et seule la musique résonnait désormais dans sa tête. Puis sans crier gare, il ferma les yeux et s’endormit. Sans prévenir personne. L’agitation de la classe ne l’atteignait plus, pas plus que lui. Tu vois quand tu veux.  Et pourtant, pourtant. Une voix s’immisça parmi les autres pour l’atteindre. Un bruit sourd, puis un peu plus clair, et finalement …

« … quel point ton attitude est détestable, tu te détournerais juste et prétendrais que je n'existe pas. »

… Pourquoi fallait-il que la transition de sa chanson soit aussi longue pile à ce moment-là ? Et pourtant le visage de son frère lui vint à l’esprit. Il lui avait déjà dit quelque chose de semblable avant, même s’il ne s’en souvenait clairement. Va-t’en, c’est le moment. Finalement, à la reprise de la musique, il rangea ses affaires et se leva en prenant son sac. Il allait le prendre au mot. Se détourner et faire comme s’il n’existait pas. Mais ce qui le dérangeait encore, c’est qu’il l’ait autant remarqué alors que les autres ne le voyaient pas. Rui n’allait plus pouvoir se prétendre invisible devant lui. Enième soupir. Va falloir t’y faire. Alors au pas de la porte, le chahut plus dissipé, il se tourna vers celui dont le nom ne lui revenait absolument pas.

« Bon … , marmonna-t-il avant de baisser la tête et reprendre en regardant ailleurs « … A demain … »

Sur ces mots, il disparut dans le couloir en direction de sa chambre, croisant quelques responsables qui se dirigeaient vers sa classe, qu’il évita soigneusement, tête baissée. Il avait bien fait de partir, décidément.