Forever young [Shael;Kaede]

« C'est cool de voir la vie en couleurs parfois ! »

Shael Hawk & Kaede Haku

J'étais sortie de mon plein gré aujourd'hui car oui, c'était possible ! Même pour une fan de jeux vidéo comme moi. Pourquoi ? Je n'en avais pas la moindre idée, la simple idée d'explorer le monde extérieur m'avait frôlée et voilà que je me promenais tranquillement dans les rues de Mekakucity. Au fond, je savais que j'allais certainement finir par m'égarer à un moment, comme d'habitude, et pourtant cette pensée ne m'effrayait pas, au contraire. Peut-être allais-je découvrir de nouveaux coins ? Ce serait génial ! Comme ça je pourrais les montrer à mes amis... enfin, à Koyen, car il était à ce jour mon seul et unique ami. Triste pour une lycéenne, mais bon, je ne voulais pas faire d'efforts en vain. À quoi bon s'acharner si ce n'était que pour que l'on m'oublie, hein ?

Enfin, récemment, j'avais découvert une petite faille dans mon 'pouvoir'. Quelque chose concernant les autres possesseurs des yeux rouges. D'après mon constat face à l'homme-qui-jetait-des-biscuits-au-visage-des-autres, cette capacité à m'effacer de la mémoire de quelqu'un semblait ne pas fonctionner sur eux, ou alors très rarement seulement, car j'avais pu le regarder droit dans les yeux sans craindre de m'en évanouir de ses souvenirs. Au moins une personne avec qui je pouvais me sentir constamment à l'aise, avec un peu de chance j'en trouverais d'autres sous peu. À la rigueur je n'avais qu'à les fuir du regard comme je l'avais toujours fait, non ? Même si cela donnait l'impression aux autres que j'avais peur d'eux, ce n'était pas comme si j'avais réellement le choix.

Mais revenons-en à nos moutons. J'étais là, à déambuler dans les rues, à la recherche de quelque chose à faire. Un truc divertissant, mais qui sorte de mes habitudes. Si je souhaitais sortir de la routine, il ne me restait qu'à éviter les peluches et les jeux vidéos... ainsi que tout ce qui pouvait toucher à l'horreur. Mon regard fit alors le tour des boutiques devant lesquelles je passais, cherchant  un peu n'importe quoi. Les vitrines défilaient et pourtant, rien n'attirait particulièrement mon œil. Étais-je devenue bien trop compliquée avec le temps ? Ou était-ce le monde qui avait changé au point d'en devenir ennuyant ? Wow, on aurait dit une déprimée qui parlait là. J'allais bien finir par trouver mon bonheur, non ?

En tout cas, qui aurait cru qu'il m'attendrait au coin de la rue, au moment où je n'y croyais presque plus. Au moment de traverser la route, mon regard curieux s'était posé dessus, et ce fut... le coup de foudre instantané. Cela ne se voyait certainement pas à cause de ma frange, mais mes yeux brillaient d'admiration, de plus en plus au fur et à mesure que je m'approchais. Il fallait que je le vois de plus près, afin de pouvoir l'observer plus en détails... mais n'allait-on pas me prendre pour une folle ? Au pire, cela ne regardait que moi. J'aimais ce que je voulais, point final. Une fois en face, je ne pus retenir mes émotions: il me le fallait. Si coloré, si... magnifique.

« Je crois que j'ai trouvé mon bonheur de la journée. IL ME LE FAUT. »

Comme je m'en doutais, certains me regardaient de manière étrange au moment de mon achat, et même après. Bah quoi, vous n'avez jamais vu une lycéenne se balader dans une rue en sautillant avec un ballon en forme de tête de lapin ? Sérieusement quoi, il était trop mignon, jamais je n'aurais pu feindre ne pas l'avoir vu et passer mon chemin ! Il était d'un rose somptueux, presque le même que celui de mes yeux. J'avais craqué, et c'était le cas de le dire. Par pur hasard, il s'avérait qu'il correspondait très bien à ma tenue vestimentaire du jour : une petite salopette, ayant en-dessous un t-shirt jaune pâle trop large, avec des manches de couleur saumon. Bref, j'avais l'air d'une gamine, et ma taille n'arrangeait rien, ni mes deux couettes d'ailleurs.

Gamine un jour, gamine toujours ! Mon oncle me disait souvent qu'il ne fallait pas toujours prendre la vie au sérieux, car il fallait profiter de chaque jour ou on allait finir par s'ennuyer. Et évidemment, je le croyais, comme d'habitude : c'était mon 'papa' après tout. Du coup, je me fichais du regard des autres à cet instant précis, bien trop occupée à m'amuser avec mon nouveau ballon. Un lapin d'ébène traînant à sa suite une tête de lapin rose, c'était le comble, non ? Assez comique en son genre et je le savais. Ça expliquait probablement la tête idiote que je devais faire en même temps.

Ahh, heureusement que personne ne peut me reconnaître. Parce que d'un côté, ça aurait été la honte. Je n'avais pas envie que les gens me voient au naturel, pour ensuite se dire "Oh elle a l'air gentille, et si on allait la voir pour devenir amis ?"ou ce genre de choses, car je savais que cela n'attirait que des ennuis, surtout de la souffrance dans mon cas. D'un côté, ils pouvaient aussi me trouver encore plus bizarre que je n'en avais déjà l'air au lycée, et ainsi s'éloigner ! Si je n'avais pas cette haine de la solitude, j'aurais probablement ri à mon idée si géniale, mais bon. Je savais que c'était fort probable dans les deux cas, mais dans le fond je ne demandais qu'à être normale, à me faire des amis. Pourquoi avait-il fallu en arriver là ? Pourquoi ce pouvoir stupide ?

Perdue dans mes pensées, je ne me rendis pas compte que je m'étais arrêtée et que progressivement, ma main s'était desserrée, au point de finir par en lâcher mon ballon. Quand je m'en rendis compte, il était déjà un peu tard : il avait commencé à s'envoler, suivant la direction du vent. Lui aussi il voulait me fausser compagnie ! Mon existence était-elle si désagréable au point que même les objets ne voulaient plus de moi ? Ou avais-je seulement la peste, ou encore une poisse énorme ? Quoi qu'il en soit, je ne peux pas le laisser s'échapper. C'est alors que je me lançai à sa poursuite, espérant qu'il finisse par faire demi-tour et plonger dans mes bras... pas comme si c'était possible en dehors de mes fantaisies, évidemment.

Finalement, je le vis s'arrêter. Heureuse au départ, je me rendis vite compte du problème : il était bloqué contre une branche. Une fois sous l'arbre où il s'était logé, je me mis à sautiller sur place, tendant mes bras vers la ficelle pour l'attraper. Malheur ! J'avais beau être forte en sport et donc en saut en hauteur, j'étais toujours trop petite pour pouvoir le récupérer : il était perché bien trop haut pour moi. Mon regard désespéré le surveillait attentivement, alors qu'un soupir venait de s'évader de mes lèvres. Pourquoi avait-il fallu que la situation se retourne si subitement, à mon désavantage encore une fois ? Étais-je destinée à crouler sous la malchance toute ma vie, le bonheur m'était-il interdit ? Et si quelqu'un avait placé une malédiction sur moi sans que je le sache ?

« Qu'est-ce que je vais faire.. ? » murmurai-je tristement, fixant la tête de lapin de baudruche qui semblait m'appeler à l'aide du haut de l'arbre.

« Mon ballooooooooooon ! »

Shael Hawk & Kaede Haku

« Merci beau-»

Oui, je m'étais arrêtée en plein milieu de ma phrase. Et oui, j'avais une raison VALABLE pour cela. Alors que je croyais que cette grande blonde -par la même occasion plutôt stylée au point que je l'avais admirée quelques secondes- avait prévu de m'aider, et bien non ! Elle était en train de se faire la malle. Et en prime, avec mon super ballon lapin ! Non mais je vous jure, de nos jours les gens n'ont aucun respect... quoi, moi qui dis ça ? Mais non enfin ! J'étais une petite fille tout à fait normale, la plus adorable et la plus délicate des gamines et surtout pas avec un ego surdimensionné, non non, à peine. Il fallait que je la rattrape, et vite ! Pas que je manquais de vitesse, mais provoquer une bagarre, qui plus est pour un ballon de baudruche et en plein milieu d'une rue, sûrement pas.

Ce fut alors l'heure de la poursuite -pas course parce qu'elle ne faisait que marcher-. Sautillant derrière elle, je tentai à multiples reprises d'attraper mon ballon tant aimé, mais je n'y arrivais pas. Ô, malheur ! La malchance me rattrapait-elle enfin ? En fait elle ne m'avait peut-être jamais lâchée... ce qui était encore plus plausible, c'était qu'elle avait attendu que je sois bien joyeuse pour me casser tous mes délires. Pourtant, à chaque fois que j'avais l'impression qu'elle ralentissait, l'espoir me revenait et mes yeux brillaient à nouveau alors que mon bras se tendait vers l'objet. Un peu comme quand on montre de la nourriture à un chien et qu'il espère qu'on va lui donner, alors qu'on finit par la manger sous ses yeux. Ouai, l'exemple parfait. Y'a pas le même pour les lapins par hasard ?

« Mon balloooooooooooon » lâchai-je avec tout le désespoir du monde.

Soudain, je la vis tourner la tête vers une vitrine. Ma chance peut-être ?! J'allais bondir, jusqu'au moment où je l'entendis rire. Elle se moquait de mon ballon ? Non... d'elle-même ? C'est là que je compris tout, moi le cerveau lent ambulant. Elle avait fait ça pour plaisanter un peu... je dois avouer que le rire lui va bien, ça donne une certaine chaleur à son visage. Je ne pus alors m'empêcher de sourire, continuant de la suivre en trottinant simplement derrière elle cette fois. Maintenant que j'y pensais, sa tête me disait quelque chose... où avais-je bien pu la croiser ? Bah, ça allait très certainement finir par me revenir ! Il me fallait seulement un peu de temps, le temps que mon "cerveau" analyse le tout de la situation.

Lorsqu'elle s'arrêta à un carrefour je me dépêchai de la rejoindre, faisant mine d'être en colère... mais c'était impossible. Le sourire sur mon visage me trahissait, et je n'arrivais pas à l'effacer. Un sourire idiot, mais sincère : finalement, ma journée n'était pas si mauvaise que ça. Beaucoup moins que d'habitude. Non seulement j'avais trouvé un ballon génial, mais en plus j'avais croisé une fille avec un sens de l'humour plutôt sympa. Ça me changeait des quelques idiotes qu'il m'arrivait de croiser que ce soit dans la rue ou... au lycée ? Là, quelques images me traversèrent la tête à la vitesse de la lumière. Quelques flashbacks, le genre d'événement qui ne m'arrivait que rarement.

Mais oui, voilà d'où sa tête m'était familière ! Elle et moi allions au même lycée. Pourquoi n'avais-je pas fait le rapprochement plus tôt ? Oh, peut-être parce que j'étais trop obsédée par mon ballon lapin... en même temps, il était à mon image quoi. Et puis les lapins, c'est cool et mignon. Je me postai alors face à elle, toujours aussi rayonnante de bonheur. Je n'arrivais même pas à faire un semblant de mimique boudeuse, genre gonfler mes joues ou froncer les sourcils, non non... j'étais bien trop occupée à me marrer intérieurement pour ça. Et puis, au moins, mon bijou était sauvé et n'était plus bloqué en haut de ce méchant arbre qui nous avait séparés !

« Merci beaucoup d'avoir délogé mon ballon ! »

Délicatement, j'avais attrapé la ficelle du ballon, sans pour autant l'arracher des mains de ma camarade. Sans prendre garde à ma frange qui ne cachait plus mes grands yeux roses, je levai le nez vers elle -bah oui, elle était bien plus grande que moi- et je lui fis un sourire un peu plus grand, plus enfantin. Je n'avais pas pour habitude de me montrer si chaleureuse envers les autres à cause de mes peurs stupides, et pourtant j'avais comme cette impression au fond de moi que je pouvais me permettre d'agir à peu près normalement autour d'elle... peut-être parce qu'elle était différente de ces gens qui se forgent des préjugés rien qu'en voyant une personne ?

Encore plus que ce que je pouvais montrer, j'étais extrêmement curieuse à son sujet. Parce qu'elle n'avait pas l'air d'être du coin, et surtout parce que son style vestimentaire sortait du lot. Moi ? Je trouvais ça cool. Vraiment cool. Même si j'avais tendance à être féminine, donc petits nounours et tout le tralala, je trouvais les vêtements décontractés bien plus confortables. Plus; je trouvais que les femmes au style un peu garçonne, ça avait la classe ultime. Qu'on me trouve bizarre ou pas je m'en fichais totalement, parce que je ne pouvais pas m'empêcher d'admirer les choses lorsque ça sortait de l'ordinaire, de la "mode" suivie par beaucoup de jeunes.

En plus, je la connaissais. Certes, elle n'avait pas l'air très aimable lorsque je l'avais croisée au lycée pour la première fois, mais je voyais bien qu'elle avait un bon fond en fait. La preuve ? Son rire. Il était parfaitement naturel, totalement inattendu. Et puis, là, elle avait souri. C'était une preuve comme quoi il ne fallait jamais juger un livre à sa couverture, que ce soit pour elle ou pour moi. Après tout, avec la petite bouille d'enfant que j'avais là, la manière dont j'étais habillée... qui pourrait soupçonner que j'étais une accro aux films d'horreurs et aux maisons hantées ? Les histoires et les jeux vidéos avec plein de zombies dedans ? Personne. Tout le monde me prenait pour une intello en général, ce que j'étais loin d'être.

Mon regard fit alors le tour des environs. N'y avait-il pas quelque chose à faire dans les parages ? Parce que j'avais envie d'en apprendre un peu plus sur elle. Peut-être que ce serait l'occasion de me faire une nouvelle amie ? Autant essayer, même si me sociabiliser n'était pas mon fort. Encore moins avec mon pouvoir. Un café peut-être ? Je ne savais pas où les jeunes allaient généralement de nos jours pour faire connaissance donc bon... peut-être qu'elle savait ? Après tout, elle devait certainement avoir plus d'amis que moi. Forcément puisque je n'en avais pas des masses. Triste vie. Pitoyable pessimisme qui m'éloignait des autres.

« J'aimerais te remercier pour m'avoir aidée ! Est-ce que ça te dérange si je te paye quelque chose ? En plus j'aimerais bien... discuter un peu... avec toi... » avouai-je timidement, baissant le ton à ma dernière phrase.

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« Étendre mon réseau de vie sociale, c'est possible ? »

Shael Hawk & Kaede Haku

Un silence s'était installé entre nous, l'espace de quelques instants. Soit elle cherchait une réponse à ma proposition soit... elle me trouvait carrément louche et tentait de trouver un moyen de me fausser compagnie en douce. Étais-je si bizarre que ça dans le fond ? Bon d'accord, inviter une personne tout à fait random qui en plus avait voler mon ballon, ça n'avait pas été très intelligent de ma part. Mais cette fille avait quelque chose d'intriguant chez elle... une aura qui attirait toute mon attention au point que j'en perdais mes sens. Sa tenue vestimentaire, sa coiffure... tout était particulier chez elle et cela ne pouvait qu'attiser ma curiosité, qui se construisait à petit feu.

« Beenn … Oui pourquoi pas. On peux aller au café qui se trouve là bas. Ils parait que leur glaces sont bonnes mais je n'ai pas eu l'occasion de les goûter. »

Elle avait accepté, génial ! Un large sourire satisfait s'étira sur mes lèvres. Mais en plus de ça, un mot avait captivé mon attention : "glace". Aussi soudainement que le permettait mon cerveau, mon regard se mit à briller et l'impatience put se lire aussi aisément que dans un livre ouvert. Sans plus attendre j'attrapai la main de la grande blonde et me mis à courir, mais me connaissant c'était peut-être un pas bien trop rapide pour la victime de mon admiration. Je n'y pouvais rien, j'avais été faite comme ça après tout et me refouler éternellement risquerait de me faire devenir mauvaise, du moins c'était ce que j'en pensais. Et puis, agir en tant que la personne que j'étais réellement de temps en temps ça ne pouvait que me faire du bien, non ? Et il valait mieux qu'elle me rejette pour ce que j'étais plutôt que de m'accepter pour ce que je n'étais pas.

Tout le monde me prenait pour une petite fille extrêmement timide... d'un côté c'était vrai, mais de l'autre j'avais toujours tendance à entraîner les autres avec moi. J'avais été comme ça pendant fort longtemps, mais l'isolement à cause de mes yeux avait provoqué ce blocage vis-à-vis de la communication avec autrui. Même si je prétendais être une sorte de loup solitaire, dans le fond je voulais simplement vivre normalement, comme toute lycéenne : des amis, des histoires d'amour... mais c'était trop demander peut-être ? Evidemment que c'était trop, quel être humain normal souhaiterait être ami avec un monstre aux yeux rouges aussi désagréable que moi ? Et puis, ce n'était pas comme si ils risquaient de se souvenir de moi au final. C'était bien plus risqué qu'autre chose.

Enfin ça, c'était ce que je pensais avant, à force d'être rejetée, égarée des mémoires. Moi qui m'étais habituée à cela, j'avais fini par rencontrer des personnes plus résistantes à mon pouvoir ce qui m'avait permis de prendre un peu d'assurance. Et puis, au moins, nous avions un point commun elle et moi : nous étions toutes les deux un peu originales à notre manière. Une fois dans le café dont elle m'avait parlé, je remarquai enfin que je la tenais par la main. Restant fixée alors sur mes doigts tenant les siens captifs, je me mis à analyser la situation quelque peu surprenante. Le temps que cela monte au cerveau et mes joues prirent une teinte légèrement plus rouge, me rendant compte à quel point ça pouvait être aussi gênant pour elle que pour moi.

Faisant signe à la grande blonde de me suivre, visiblement embarrassée, je me dirigeai vers une table avant de m'installer en me faisant aussi petite que possible. J'avais honte d'avoir pris l'initiative, de l'avoir forcée à me suivre alors qu'elle savait très bien marcher toute seule. Cependant je devais me reprendre rapidement, pour ne pas laisser un blanc embarrassant entre nous. Surtout que c'était moi qui lui avais proposé de faire connaissance ! Tout ça parce que son aura m'intriguait. Contrairement aux autres, mon regard n'était pas plein de jugements, seuls les gens jugeant eux-mêmes étaient cibles de ma critique cinglante. Et oui, ça ne pardonnait pas de s'amuser à dévisager les personnes au risque de les blesser mentalement.

« Hum... qu'est-ce que tu comptes prendre ? »

Je toussotai histoire de me forcer à penser à autre chose. Mon attention vint ensuite se placer sur le menu, du côté des desserts. Des crêpes, des glaces... le choix était difficile ! Cependant j'étais forcée de faire un choix car je n'avais pas assez d'argent pour me permettre de faire des folies... même si mon estomac le réclamait promptement. Je me mordais les lèvres : choisir était beaucoup trop cruel pour moi ! J'avais limite l'impression de devoir tendre la main vers la vie ou la mort... enfin, c'était l'image qui devait ressentir de ma lutte intérieure, censée être invisible à l'extérieur. En espérant que cela ne la fasse pas éclater de rire, de me voir me débattre contre mon fatidique destin ! Sinon la honte... je n'aurais plus qu'à me cacher dans un trou.

Dame Blanche, Banana Split... tout ce qui passait sous mon regard dévoreur me donnait insatiablement envie. Mais comme je ne pouvais en prendre qu'une, il fallait que je décide d'une manière ou d'une autre : j'eus alors la merveilleuse idée de fermer les yeux et de laisser mon doigt faire le travail à la place de mon cerveau. Après avoir pointé un truc au hasard du doigt je levai mes paupières pour regarder ce qui avait été désigné. Oh, une fraise melba. Imagine Kaede... toute cette chantilly par-dessus la fraise. Ah, maintenant tu salives n'est-ce pas ? La ferme, même pas vrai ! Enfin.. si ? J'essuyai rapidement le petit filet de bave qui avait commencé à s'échapper de mes lèvres, en espérant que la blonde en face ne me prenne pas pour une folle.

Lorsque la serveuse arriva, je l'observai bouger les feuilles de son calepin avec intrigue. Elle soupira. Ça n'allait pas peut-être ? Sentant visiblement mon regard un peu trop curieux sur elle, la jeune femme sursauta légèrement et me fit un léger sourire, pour faire croire que tout allait bien. Mensonge. Menteuse. Mais bon, son but n'était pas non plus de déballer sa vie à ses clients alors j'allais passer outre ce sujet probablement embarrassant pour elle, lui répondant finalement d'un simple petit rire malicieux. Quand elle nous demanda finalement ce que nous souhaitions, je la fixai un instant avant de me tourner vers ma camarade, toujours souriante.

« Pour ma part, ce sera une Fraise Melba. Et toi ? »

« Discutons autour d'une bonne glace et... d'un verre de limonade. »

Shael Hawk & Kaede Haku

La jeune blonde était bien muette, et cela m'inquiétait un peu. Peut-être ne savait-elle pas lire ? Non Kaede, ne te fais pas un jugement aussi étrange... évidemment qu'elle sait lire, elle est au lycée ! Je secouai négativement la tête pour remettre un peu d'ordre dans mes idées. Il était peu probable qu'elle ne sache pas, après tout elle avait l'air d'une personne tout à fait cultivée et instruite. Là-dessus, je n'avais pas le droit de douter parce qu'elle était certainement bien plus construite intellectuellement que moi. Limite elle serait nettement au-dessus de moi, cela ne m'étonnerait même pas : de toute manière, ce n'était pas comme si c'était compliqué de me dépasser au niveau des résultats scolaires... c'était à peine si j'atteignais la moyenne en général.

Posant mon coude sur la table, je mis mon menton dans le creux de ma main, mon regard se baladant à nouveau sur la serveuse. Elle attirait mon attention, probablement grâce à sa composition aussi neutre bien que le trouble se lisait dans ses yeux. Qu'est-ce qui pouvait bien la déranger ? Mes pupilles se baissant sur ses mains, je vis une trace dessus. Une dispute avec le fiancé, hein ? Tellement banal que j'en perdis tout mon intérêt d'un coup. Mais c'est peut-être aussi parce que tu es jalouse d'elle, blondasse. Tais-toi, cerveau inutile. Moi je n'ai pas besoin de tomber amoureuse, parce que de toute manière c'est trop risqué avec mon pouvoir... ce serait me jeter dans la gueule du loup.

« Mh … Cookie et limonade ? »

Sa voix me fit sursauter, et je fus agréablement surprise de la douceur du ton employé. Cela changeait de l'impression qu'elle pourrait donner au premier abord, mais moi ça me plaisait pas mal : ça me donnait même davantage envie d'en apprendre sur elle. Je voulais presque tout savoir : d'où elle venait, ses habitudes, ses différentes émotions... tout. Elle était le genre de personne capable de me fasciner pendant très longtemps, au point que j'en perde la notion du temps, pour ainsi dire que mon admiration est grande. Cela pouvait paraître étrange d'être fixée ainsi, mais moi, je ne m'en rendais pas vraiment compte en fait : cela me paraissait plus naturel qu'autre chose que je montre toute mon admiration. D'ailleurs, une petite lueur dansait dans mon regard alors que je l'observais avec précaution, pour ne rater aucun détail de son style vestimentaire.

Seulement, un problème se posait : elle était bien trop silencieuse. Mal à l'aise ? Tout mais pas ça, pitié. Si elle ne se sentait pas capable de démarrer une conversation, qui le ferait ? Parce que moi plus la vie sociale, ça ne faisait que très rarement bon ménage. Mais bon, je me devais de faire un effort : après tout, je l'avais entraînée ici sans trop lui demander son avis, tout ça parce que j'avais jugé bon d'en apprendre plus sur elle. Réfléchissons, un sujet de conversation... et si je disais tout simplement ce qui me passait par la tête ? C'était une solution. Le moindre mot suffirait pour démarrer la discussion, non ? Comme emportée par mes pensées je me penchai par-dessus la table, mon admiration se reflétant à nouveau dans mon regard : c'était plus fort que moi au final.

« Tu ne viens pas d'ici pas vrai ? Ton style vestimentaire est super cool ! Mais on ne trouve ce genre de vêtements qu'en Grande Bretagne il me semble... donc tu es anglaise ? Tu vis ici depuis longtemps ? Où tu achètes tes vêtements ? »

Et là, gros blanc. Mais pas seulement entre nous, non non : plusieurs tables autour de nous avaient sombré dans le silence parce que j'avais parlé trop fort. Je n'avais pas trop compris moi au début, bien trop perdue dans mes pensées et mes différentes questions. Mais lorsque quelqu'un se racla la gorge comme pour détendre l'atmosphère, l'information monta subitement à mon cerveau. Le temps de l'analyser et mon visage tourna violemment au rouge tomate. J'avais honte, je voulais me cacher. Pourquoi n'avais-je pas dit cela aussi bas que d'habitude ? Depuis quand me laissais-je emporter à ce point par mes émotions ? Cela faisait tellement longtemps que je ne m'étais pas autant lâchée en présence d'une autre personne... du coup je me sentais à la fois bien et mal à l'aise.

Je me rassis ensuite au fond de mon siège, me faisant aussi petite que possible le temps que mes émotions se calment un peu. Et si elle me prenait pour une folle maintenant ? Cela ne serait pas étonnant. Non non non Kaede, ne pense pas négatif sinon tu vas encore prendre la fuite. Pour une des rares fois où cela arrivait, j'approuvais mon cerveau. Je ne devais plus reculer, et je devais essayer de redevenir aussi posée que possible. J'en étais capable, je le savais : il fallait simplement que j'y mette du mien, c'était tout. En y pensant, j'avais clairement été malpolie... non seulement je m'étais penchée sur la table en la questionnant alors qu'on se connaissait à peine -je savais juste de vue qu'elle était dans mon lycée-, mais en plus je n'avais pas fait le plus important : je ne m'étais pas présentée ! Il faut remédier à ça, espèce de lapin crétin.

« Ahem... » fis-je finalement, toussotant un peu avant de reprendre. « Moi c'est Kaede. Kaede Haku. Et toi ? »

Voilà, c'était déjà plus normal comme présentation. Bon d'accord, c'était même un peu trop banal par rapport à tout l'enthousiasme dont j'avais pu faire preuve en sa compagnie jusqu'ici mais bon, elle n'avait pas l'air d'être du genre à juger sans raison. Et puis, ce n'était pas comme si elle ne m'avait pas vue avec mon super ballon lapin, et qu'elle me l'avait piqué pour plaisanter ! Ce genre d'humour, moi, j'adorais. Et c'était ce genre de personne à qui je voulais parler, que je souhaitais fréquenter avant tout parce que je savais qu'elle serait digne de confiance. Peut-être même qu'un jour, je serais capable de lui parler de mon... non, de mes secrets ? Parce que même si j'avais Koyen comme ami, il n'était pas au courant de toute ma vie non plus... après tout je n'avais pas eu beaucoup l'occasion de converser car mon oncle m'avait demandé de rentrer.

En attendant sa réponse j'étais là, à sourire chaleureusement pour essayer de la mettre plus à l'aise... car elle n'était clairement pas à l'aise de base, alors forcément ça ne m'aidait pas beaucoup à discuter convenablement avec elle. Et puis, peut-être que nous pourrions devenir amis ? Oh, ce serait tellement génial ! Après fallait-il encore qu'elle accepte de s'entendre avec une personne aussi bizarre que moi parce qu'il fallait l'avouer, j'avais un caractère assez particulier et je n'agissais pas toujours de manière très féminine... sérieusement, quelle femme censée aimerait passer du temps dans les maisons hantées et s'éclaterait à jouer à des jeux qui font peur ? Moi, j'étais comme ça... et c'était peut-être pour ça que je faisais fuir les gens aussi.

« Qu'est-ce que c'est cette sensation bizarre ? »

Shael Hawk & Kaede Haku

Je sentais clairement son regard sur moi, ce qui ne fit que compliquer ma tâche de me calmer une bonne fois pour toutes. Pour être honnête j'étais assez mal à l'aise car je n'avais pas l'habitude que l'on me fixe aussi longtemps... j'avais une tâche sur le visage, n'est-ce pas ? Je ne voyais que ça ! Discrètement je me regardai dans la vitre, faisant mine d'observer le décor extérieur l'espace d'un instant. C'était difficile de voir quoi que ce soit quand on essayait d'être simplement pensive pour masquer le fait que l'on s'observait dans une vitre. Oui je devais avoir l'air bête à plisser les yeux pour essayer de trouver ce qui clochait pour qu'elle me fixe ainsi.

Tiens ? Il n'y avait rien ? Étrange. Moi aurais juré que c'était pour ça qu'elle me fixait : Mais alors pourquoi ? Si je n'étais pas redevenue à peu près sérieuse j'aurais viré au rouge tomate pour sûr. Par chance je m'étais reprise et mes émotions s'étaient stabilisées une bonne fois pour toutes, sinon je risquais de la mettre mal à l'aise elle aussi et ce n'était nullement mon but. Je me devais alors d'arborer une expression se voulant rassurante, il fallait que je fasse quelque chose pour qu'elle se sente bien et non oppressée par mes questions quelque peu précipitées et directes. Ma franchise, on me la reprochait très souvent et pourtant je ne pouvais pas m'en défaire : c'était un caractère dominant chez moi.

« Ce n'es rien …. Je m'appelle Shael Hawk … Je suis née à Londres et … je vis ici depuis quelques mois … Quant à mes vêtement … »

Tant d'hésitation dans ses paroles... la rendais-je aussi maladroite, elle qui avait l'air si confiante lorsqu'elle m'avait "volé" mon ballon ? Un léger blanc s'installa et elle sembla hésiter, comme si elle se battait avec sa conscience en faisant de son mieux pour ne rien laisser paraître. Qu'elle soit aussi embarrassée me flattait un peu, parce que ça me donnait l'impression d'avoir de l'importance. Shael hein... c'était un nom vraiment cool. Et comme j'avais pu le constater, elle venait en effet d'un pays anglophone : ah ! Même si j'étais nulle en anglais, je pouvais tout de même en reconnaître l'accent. Quand sa voix s'éleva à nouveau je cessai de penser, en analysant le ton : elle me semblait d'un seul coup plus sûre d'elle, ce qui ôta un point de mes épaules.

« Ce sont des vieux que j'ai eu de là bas … comme ils sont grand je peux les mettre assez longtemps, sinon je commende sur internet. Il y a aussi quelques boutiques pas mal mais elles sont à Harakujaku donc c’est pas tous les jours que j'y vais. Presque jamais même. »
« Merci de l'information, j'irai jeter un coup d'œil sur internet. ~ »

Alors il n'y en avait pas dans le coin ? Pas étonnant que je n'ai rien trouvé dans ce cas ! Du coup une fois chez moi j'allais très certainement chercher quelques sites, quelques boutiques en ligne afin de pouvoir voir à peu près le budget nécessaire et ce qui pourrait m'aller, car tout ne m'allait pas. Mais si je devais m'écouter, rien ne m'allait : je ne m'aimais pas plus que ça, sauf peut-être mes cheveux : c'était la seule chose que je pouvais me permettre d'apprécier chez moi, à la fois pour leur douceur et leur couleur. Néanmoins je devais faire impasse de ces détails et me concentrer sur la jeune anglaise face à moi, tentant de me montrer un peu moins impulsive pour ne pas l'effrayer. Pour ce faire j'adoucis mon regard, laissant paraître un sourire chaleureux et aussi confortant que possible.

À cet instant-là, alors qu'un silence non pesant mais doux régnait entre nous, la serveuse arriva avec nos commandes, les déposant devant nos visages. Mes yeux se mirent aussitôt à pétiller à la vue de la quantité monstrueuse de chantilly, qui pourrait en écœurer plus d'un mais pas moi. J'étais plus en train de baver devant qu'autre chose, en toute honnêteté : c'était bien l'un des éléments qui faisaient que j'avais encore du chemin à faire pour être une petite fille totalement féminine. Car oui, j'avais mes côtés un peu libre et tête en l'air, au point d'en oublier que j'étais dans un lieu public. Enfin, qu'importe ! J'attrapai ma cuillère, constatant que ma camarade avait déjà commencé à boire sa limonade.

« Bon appétit ! »

Avidement je pris un morceau de glace et le déposai sur ma langue pour le laisser fondre. Et bon dieu, je ne fus pas déçue ! J'en eus même des frissons tellement c'était bon. Une expression de candeur soudaine s'installa sur mon visage alors que je savourais mon délice glacé, un peu la manière dont réagirait un enfant à ma place. En y pensant je rajeunissais toujours mentalement quand je me gavais de sucreries, c'était plus fort que moi.. peut-être parce qu'il y avait une part de nostalgie ? Ou tout simplement parce que j'adorais ça plus que n'importe quoi au monde ? Une fois plusieurs morceaux de crème et de chantilly passés dans mon estomac ma voix retentit enfin, reflétant toute ma satisfaction.

« Délicieuuux ! Tu aurais vraiment dû prendre une glace, elles sont délicieuses ! »

Je restai à manger pendant un bon moment, savourant chaque partie qui passait dans mon palais, miette par miette et bouchée par bouchée. Ahh, j'étais tellement heureuse que j'aurais pu en mourir à cet instant ! Pourtant je ne le devais pas. Il y avait quelque chose qui me dérangeait un peu : je devais bien évidemment finir ma glace avant de décéder, ça allait de soi. Néanmoins je sentais que là n'était pas le réel problème : c'est pourquoi mon regard se posa sur Shael, arrêtant de dévorer mon dessert un instant. Peut-être avait-elle un problème au niveau de la lecture du japonais ? Après tout cela pouvait se comprendre puisqu'elle venait de Londres, et que les deux alphabets étaient totalement différents. Pour ma part j'étais nulle en anglais, alors je pouvais comprendre !

Si c'était vraiment le cas, alors peut-être qu'elle regretterait de ne pas avoir pu goûter ? J'aurais alors dû m'en vouloir, mais il y avait cette atmosphère qui m'en empêchait. Une ambiance rassurante qui faisait que je cherchais simplement un moyen de remédier à cela sans pour autant me rabaisser au possible. Oui je me sentais à l'aise, et j'espérais vraiment qu'elle l'était elle aussi, ou qu'elle le serait au moins avant que l'on ne rentre chacune chez nous. Après un petit instant à cogiter je finis finalement par prendre un peu de glace dans ma cuillère, lui souriant encore avant de l'approcher de son visage. Je ne voulais pas qu'elle se sente forcée, ni même qu'elle se sente gênée : je voulais simplement partager un peu mon bonheur pour une fois.

« Tiens si tu veux goûter ! Il ne faut absolument pas que tu rates ça. »

Tant d'insouciance n'était pas explicable pour moi parce que je n'avais pas l'habitude d'être aussi assurée dans mes actions. Pas une once d'hésitation dans mes paroles, comme si j'allais avec le flot des événements. Décrire ce que je ressentais à cet instant était assez compliqué, mais en clair c'était un peu comme si j'étais dans de l'eau où le courant serait paisible et que j'étais enveloppée dans la douceur de celle-ci sans que rien ne puisse me troubler... comme si je nageais en silence, l'esprit vide de tout souci imaginable. Je ne m'étais jamais sentie comme ça pour être honnête, encore moins depuis que j'avais développé cette "capacité" due à mes yeux rouges. Ce sentiment étrange de bien-être, qu'était-ce exactement ? Ça me faisait une sensation toute drôle au cœur, comme si j'avais face à moi une entité apaisante... ce qui m'avait toujours manqué jusqu'ici.

« Sois honnête avec toi-même, laisse ton cœur s'exprimer. »

Shael Hawk & Kaede Haku

« Tu es sûre ? »

Afin de lui montrer que j'étais sûre de mon choix je hochai vivement la tête, attendant qu'elle me donne son impression sur la pêche melba. Lorsqu'elle se décida finalement à mordre dans la crème glacée je restai neutre, patiente : il ne lui faudrait certainement pas beaucoup de temps avant de réagir, car le simple fait de sentir la douceur sucrée fondre dans son palais était une merveille en soi. Et effectivement j'avais raison car son visage afficha une expression qu'elle ne m'avait pas encore montré jusque là. Son regard s'était illuminé comme s'il brillait de mille feux, ma réaction ne se faisant pas attendre non plus au final. J'eus l'air ébahie en la regardant, mes joues prenant une teinte rosée, mon regard pétillant et ma bouche s'entrouvrant légèrement. Adorable ; c'était le mot exact. Qui l'aurait cru ? Cette jeune fille aux allures pourtant un peu rebelle les bords pouvait arborer une telle expression en mangeant un dessert. Du coup je me sentais un peu unique car il était certain que ce visage elle ne devait pas le montrer à beaucoup de personnes... et dire que ça lui allait si bien ! Si elle montrait cette douceur surprenante, cette joie éclatante elle pourrait faire battre énormément de cœurs et faire tourner les têtes de beaucoup !

« C'est super bon ! »
« N'est-ce pas ! »

Suite à ma réponse j'affichai un grand sourire enfantin, témoignant clairement de mon humeur rayonnante. Puis, progressivement l'expression de Shael changea en une déjà plus renfermée, ses joues rosissant. D'ordinaire ça m'aurait rendue perplexe mais elle était tellement adorable comme ça aussi, toute gênée et toute fluffy que forcément il ne m'était pas venu à l'esprit qu'elle puisse avoir envie de prendre ses jambes à son cou par embarras. Néanmoins je ne comprenais pas cet embarras, parce qu'elle n'avait pas été bruyante au point que tout le monde se retourne ? Ou un truc de ce genre. De toute façon ce n'était pas comme si je pouvais aisément comprendre ce qui se passait dans sa tête, je ne la connaissais que depuis peu après tout. Mais cette réaction adorable me donnait fortement envie d'en savoir encore plus à son sujet. Reprenant tranquillement ma cuillère je la portai à nouveau à ma bouche après l'avoir remplie de crème glacée, me rendant finalement compte de quelque chose : ça avait fait un baiser indirect non ? Du calme, du calme. Cela ne pouvait pas être si grave. Et puis Shael ne semblait pas l'avoir remarqué alors autant ne rien dire hein ? La pauvre était déjà assez embarrassée comme ça !

« Dé-désolé … »
« Pourquoi tu t'excuses ? »

Ma réponse fut automatique, en même temps c'était souvent comme ça avec moi. Incrédule je penchai la tête sur le côté, montrant clairement que j'étais perdue. Vraiment, il n'y avait pas de raison de s'excuser après tout elle ne faisait qu'être honnête avec elle-même. Je ne comprenais pas cette manie des autres à se cacher derrière une certaine facette, à se forcer à ne pas agir de telle ou telle manière : n'était-ce pas, en un sens, se rendre étranger à soi-même ? Bon je pouvais parler à fuir les gens alors que je n'avais qu'une envie c'était avoir des amis, mais j'avais mes raisons. Peut-être avait-elle les siennes ? Peut-être avait-elle été blessée dans le passé et ne souhaitait plus montrer cette douceur car elle était symbole de faiblesse ? Dans ce cas il était de mon rôle de la rassurer, de lui faire comprendre qu'elle pouvait agir normalement en ma compagnie : j'étais sûrement la dernière qui irait lui porter un jugement face à un tel caractère. Et puis je préférais qu'elle soit plus honnête envers elle-même car sinon elle risquait de se détruire progressivement et ça j'aurais certainement du mal à l'accepter.

Réfléchissant à ce qui pourrait être la 'bonne réponse' à fournir à ma propre question je portai ma main à mon menton en arquant légèrement mon sourcil droit. Il devait bien y avoir un moyen de la défaire de ses pensées négatives, celles qui l'empêchaient de pouvoir se comporter comme elle le devait certainement avec ses amis. Pour un enfant je voyais comment faire, mais pour quelqu'un de mon âge... n'était-ce pas un peu trop me demander ? Après tout j'avais déjà eu du mal à me sociabiliser moi-même, alors tendre ma main vers quelqu'un me semblait compliqué. Non non non  et non Kaede, ne baisse pas les bras il doit y avoir un moyen. Après m'être giflée intérieurement je regardai à nouveau Shael, ayant soudain une idée : pourquoi ne pas me comporter simplement comme d'habitude ? Tout doucement je me levai de mon siège, ma main venant se déposer délicatement sur le haut de la chevelure de ma camarade. Puis, dans un mouvement lent et doux j'ébouriffai ses cheveux en souriant avec toute la chaleur du monde. Si cela ne parvenait pas à la rassurer, alors je ne savais plus quoi faire, j'étais battue.

« Si c'est pour avoir laissé ton moi intérieur s'exprimer, tu n'as pas à t'excuser. Je trouve même que ça te va plutôt bien en fait ! Ne laisse pas tes craintes restreindre tes actions, vis comme tu l'entends sans prêter attention à ce que pensent les autres. » déclarai-je avant de me rasseoir dans mon siège, retirant ma main de ses cheveux. « C'est ce que m'a toujours répété mon oncle et crois-moi, c'est un très bon conseiller. »

Moi aussi, autrefois, je refusais de montrer mes émotions parce que je ne voulais pas m'attacher aux autres, je ne voulais plus souffrir. J'avais été traumatisée par les agissements de mon père et je m'étais renfermée sur moi-même, et pourtant mon oncle avait continué à tendre sa main salvatrice pour me sortir de mon désespoir. Il n'avait jamais abandonné même si je m'étais montrée froide avec lui au départ, et il m'avait enseigné sa philosophie du monde. Même si je ne lui montrais pas spécialement c'était une personne que j'admirais par-dessus tout, pour sa patience, sa chaleur et sa tolérance. Désormais c'était à moi de tendre la main aux autres, à ceux que je jugeais comme victimes de la société, ceux ne pouvant plus être eux-mêmes à cause du regard d'autrui. Pour moi il était essentiel de les aider à se relever, leur montrer que ce n'est pas aux autres de décider qui nous sommes et comment nous devons nous comporter : c'était pour cela que je tenais tant à aider Shael, parce que je voulais que davantage de personnes puissent voir cette part rayonnante de sa personnalité et l'apprécier à leur tour. Et je voulais, bien évidemment, aussi pouvoir devenir son amie.