Élégie sous-marine sous le signe des camélias. ft Ao Shimizu

Un. Puis deux. Elle tourne une première fois. Puis une deuxième. C’est une fleur en pleine éclosion qui déjà se fane. Une fleur aux pétales rouges vifs s’envolant dans une brise légère. Elle marquait le bitume par ses petits pas, touchant à peine la surface du sol, une démarche aérienne. Elle fusillait ceux qui osaient la regarder, trop braves et naïfs. N’approchez pas, ne me touchez pas, je suis la reine de ce lieu, une rose délicate aux piquants acérés. Ses yeux n’étaient visibles de personne et tant mieux. Ils laissaient parfaitement transparaître son trouble intérieur et auraient sûrement fait s’écarter de nombreux individus. La fatalité avait voulue qu’elle oublie ses barrettes en claquant la porte de son appartement. Elle ne voyait absolument pas ou elle posait les pieds à cause de sa frange trop longue, que ce soit dans les rues où elle s'aventurait ou dans le long chemin de sa vie. Pour les plus ignorants ou les plus aveugles, Misaki était d’une humeur acerbe. Elle avait la chance d’avoir des parents. La chance d’avoir des chaînes aux pieds et poignets, l’empêchant d’être vraiment libre. Elle se bornait à refuser l’autorité parentale, à chercher sa liberté, une liberté fictive et pour le moment hors de portée. La jeune avait eu une journée qu’elle qualifiait sans mal d’effroyable.

Misaki avait sacrifié sa journée à écouter les radotages de ceux que l’Etat nomme professeurs. Ils étaient tous d’un ennui comparable à la mort. Qu’avait-elle à faire d’un général mort ou d’un auteur anglais ? Elle ne pouvait même pas résoudre l’équation de sa vie, malgré les points positifs que cette dernière possédait. Objet de nombreux regards porteurs de sentiments tous différents, première au tableau des absences, dans le classement des cinq élèves les plus perturbateurs, souvent à l’origine de conflit, elle n’avait même plus envie de sourire aux pantins lui servant de camarades. Et pour conclure cette journée, son père avait pris la judicieuse décision de l’appeler, alors qu’elle arrivait à peine chez elle. Elle n’avait pas pleuré depuis un moment. Mais ce jour, elle versa de nombreuses larmes, cria à s’en briser la voix et avait raccroché au nez de l’adulte en hurlant avant de s’effondrer par terre, énervée contre lui, énervée contre elle-même de sa propre faiblesse.

Il lui avait dit d’abandonner ses rêves. Il la rejetait, elle et ce qu’elle pensait, sa fantaisie intérieure. Sa poitrine lui faisait mal, mal à en mourir.

La jeune fille se sentait profondément seule et aurait désirée en ce me moment, un semblant d’amour, d’affection, de chaleur humaine. Seule l’ampoule au plafond clignotante lui rappelait la réalité à laquelle elle devait s’accrocher. Alors elle sortit, claquant la porte, peu soucieuse de ce que diraient les propriétaires et elle avait couru un moment dans les rues de cette ville qu’elle avait finir par bien connaître. Puis un pas. Et deux. Avant de s’arrêter en soupirant. Ils pouvaient dire ce qu’ils voulaient sur elle, mais elle n’était ni forte ni libre. Juste orgueilleuse. Juste indécise. Juste stupide. Ah elle avait envie de dormir, de fuir la réalité pour un monde idéal ! Retrouver ses rares amis ! Mais la vie n’est pas si simple Misaki. Il faut se battre pour ses rêves car la loi de la réalité est faite ainsi.

Elle fut brusquement tirée de sa rêverie enfantine par le son d’un obturateur et les exclamations de plusieurs personnes. En tournant la tête, elle découvrit ce qui semblait être un shooting photo organisé en l’honneur d’une jeune fille aux admirables cheveux blonds. Elle semblait parfaite sur tous les points et Misaki eut un sentiment de dégout envers l’inconnue. Mais la lycéenne eut aussi honte un moment de son apparence, sa frange aux mèches trop longues ou son corps d’enfant.

Continuant son analyse de la blonde, elle découvrit sur le visage d’ange aux yeux bleus océan, un air triste, une douce mélancolie. C’était donc ce genre de personne. Elle continua de la fixer même si la séance semblait finie vu le départ de l’équipe. La blonde restait là. Elle était belle, mais son odeur était inexistante, comme si personne ne pouvait la toucher ni l’approcher. Une aura spéciale.

La blonde était comme un camélia.

"Pou…pourquoi tu me fixe comme ça ? OH NON ! Ne me dis pas que… je sais j’ai quelque chose sur le visage. Ho ! Un insecte ! AAAA non s’il te plait enlève le moi j’ai horreur de ça.
Misaki décida de l’ignorer, en la catégorisant comme une pimbêche X ou Y, ne s’en souciant que peu. Mais la jeune fille n’avait pas prévu que la blonde la suivrait à travers sa balade dans la jungle urbaine et les ruelles humides. Elle ne comprenait même plus les mots prononcés par la blonde, noyée dans un torrent de paroles plus incompréhensible les unes que les autres.

« Dis ! T’as quel âge ? Tu viens d’ou ? T’habites où ? Comment tu t’appelles ? Je peux avoir ton numéro de téléphone ? J’adore t’as mèche devant tes yeux ça fait rebelle comment t’as fait ? T’as mis t’es doigts dans une prise électrique ? ça fait mal ? T’as pas peur de te prendre un mur ou un truc du genre ? »

Misaki s’arrêta brusquement et se retourna pour fixer l’autre, qui sembla pétrifiée par ce regard plus qu’agressif. Au moins Misaki avait réussir à transmettre correctement ses sentiments pour une fois, même si elle n’était pas convaincue que cet air lui aille vraiment bien.

« Mais tu vas te taire oui ?! »

La lycéenne avait eu un ton plus coléreux qu’elle ne l’aurait désiré mais si elle pouvait au moins faire comprendre son exaspération à la blonde, tant pis, ça lui allait. En plus de ça elle était plutôt grande, raison de plus pour Misaki d’être énervée. Passant machinalement le doigt sur la lame d’un cutter dissimulé dans sa manche, elle sentait le sang perler mais ne voulait pas devenir célèbre pour le meurtre de ce qui semblait être une célébrité.

« J’aurai jamais cru être stalker comme ça un jour… J’aurai pas du attaquer machin l’autre jour… Le ciel me punie… »

Elle n’était même plus énervée, juste complètement exaspérée par la bêtise de cette fille qu’elle ne connaissait pas. A en juger par ses réactions et le timbre de sa voix, elle devait être lycéenne. Si ça se trouve, Misaki était même son ainée. Elle ne s’accrocha néanmoins que peu à ce mince espoir.

« Hinata Misaki, seconde année au lycée du coin. C’est tout ce que tu auras, espèce de stalker. »

Elle soupira une nouvelle fois avant de reprendre son chemin, la blonde toujours sur ses talons.