confiance ••• koyen & akira.

Une sonnerie résonne dans tes oreilles où  le bruit de la pluie se cognant contre le goudron se répète, encore et encore. Fin des cours pour toi, tu ranges nonchalamment tes affaires et sort de la salle de classe en soupirant. Qu'est-ce que t'as, là? Ah ouais, biologie... Tu bailles en te dirigeant dans la salle; tu n'es pas d'humeur et préférait te recroqueviller dans ton lit et t'endormir, la nuit d'hier soir a été courte, des hématomes douloureux t'empêchant de te reposer tranquillement. Et tes cernes s'en sont encore alourdies, rien qu'en levant les yeux tu arrivais à sentir leur poids, toi-même tu t'étonnais. Ah, mais — il faut d'abord que tu passes par là. Au début, tu feints l'ignorance dans ta tête. Inutile, t'es tout seul la dedans, tu sais très bien que tu dois y aller de toute façon. Quitte à te faire frapper, autant que ça soit moins douloureux qu'une punition.  Tu soupires en y repensant, et tu regardes tes pieds, connaissant de toute façon trop bien le chemin Lycée — Q.G — Maison. C'était une routine, quelque chose ne te semblerait pas normal si tu ne faisais pas cela. Honnêtement, tu préférais que quelque chose d'anormal se passe, pour le coup. Comme quoi, la police qui apparaîtrait comme par hasard à l'endroit de ton exécution? Ne soyons pas stupide, même si cette idée aussi banale et idiote est-elle marcherait, tes jours seraient comptés une fois l'acte joué, et rester à Mekakucity équivaudrait à creuser ta tombe. Le simple fait de t'approcher d'un flic équivaudrait à mettre un pied là dedans.

Quoique ; pour le coup, c'était attirant, t'avais envie de mettre le deuxième pied. Mais ton cache-œil peut témoigner ; la mort, ce n'est pas quelque chose que Bankichi t'offrira, t'en es bien conscient, alors tu te contentes de suivre les ordres. Ordres qui sont simple par ailleurs ; se faire et subir. Tes pieds traînent sur le sol, pas assez de force pour pouvoir les soulever. Tu supportes douloureusement le regard des gens: c'est sûr qu'un gamin de dix-sept ans avec un truc qui couche son œil gauche, c'est pas commun. Certains se moquent de toi en croyant à une crise d'adolescence, d'autres sont plus inquiets et plus logiques: qui croirait à un caprice d'un gamin déprimé? Ouais parce que ton aura mauvaise, on la sent à dix kilomètres à la ronde, hein.  Les gens t'évitent et t'as limite l'impression que si tu faisais un pas à droite, tout le monde ferait un pas à droite pour ne pas se rapprocher de toi. Les joies de la dépression. Tu sers les bretelles de ton sac-à-dos, dans un excès de colère ou de tristesse. Un peu des deux. Tu sais même pas pourquoi t'es en colère, t'es juste... sur les nerfs. Une crise comme ça t'est déjà déjà arrivé de nombreuses fois, t'as même fini par ne plus en avoir quoi que soit à foutre. Ça passera de toute façon, que tu te dis. Tu avances, encore, attendant le bon virage à gauche pour envoyer balader ton sac contre le mur plus ou moins violemment en pleurant un bon coup. La routine. Là pour l'instant, tu retiens des larmes et ta colère ne se fait visible que dans tes poings. Dans tes yeux, on ne voit qu'un vide qui veut dire ce qu'il veut dire; t'es mort de l'intérieur.

Ça prend cinq minutes, à trouver le virage à gauche — la direction de l'Enfer. Cinq minutes à penser que les gens te trouvent ridicules, cinq douloureuses minutes où il t'est arrivé de sourire comme un aliéné en pensant à ton meilleur ami.  Et t'as parlé tout seul pendant au moins une minute, c'est important de le préciser. Mais oui sinon tu vas bien, la journée se déroule plutôt normalement, tu trouves bien? Le vent se lève un peu, l'automne commence à prendre sa place et les feuilles des arbres (il y'en a encore un peu, même en centre ville) se meurent lentement, trouvant place sur un sol dégradé. Lorsque tu tournes à gauche en direction de la banlieue, tu cognes contre quelque chose. Évidemment, à ne pas regarder devant toi. Ta conversation imaginaire s'arrête immédiatement et tu t'écroules sur le sol. C'est la fin pour toi — t'avais forcément tapé contre un type peu fréquentable qui va te tuer parce que t'as osé toucher à sa magnifique personne. Bankichi? Akio? Subaru? « Désolé désolé désolé désolé désolé désolé — » tu t'excuses encore et encore, pleurant des larmes plus ou moins silencieuses. Tu peux entendre quelqu'un murmurer dans ta tête combien t'es pathétique. Mais t'es terrorisé, t'as peur d'être laissé agonisant en plein milieu de ce lieu. Mais quand t'ouvres les yeux, la personne en face de toi est complètement différent de ce à quoi tu t'attendais. Kyosuke Koyen. AKA un type aussi bien traité que toi dans le groupe. T'avais de la peine pour lui, t'étais là depuis plus longtemps et t'avais peur qu'il finisse aussi taré que ces connards.

Quand t'essaies de regarder son visage, tu vois le vide. Toi, t'as les yeux rougis par les larmes, la bouche entrouvertes à cause de tes excuses t'ayant essoufflé. Tu vivais encore un peu, mais lui? C'est... Rien. Tu ne voyais rien pouvant monter une parcelle d'émotion. Non. Non non non. C'est pas vrai, hein? Comment avait-il pu briser, comme ça? Tu voulais pas... C'était trop triste. « K-Kyosuke... ! » Tu te relèves maladroitement en essuyant les larmes restants de ton visage. Tu imites un sourire, quelque chose de pas trop triste. T'essaies de faire comme si ça va, mais de la part de quelqu'un qui pleurer sa vie en s'excusant comme une merde parce qu'il s'est cogné contre quelqu'un, c'est pas très intelligent. « Ç-Ça va...? Je, euh, désolé je... » Tu? Tu? T'essaies de trouver une excuse pour la crise de nerf s'il y a trente secondes, non? Ouais, c'est pathétique, de mentir comme on respire. En même temps, de la part du type qui imite la stabilité en cours (donc quatre-vingt pour-cent du temps), c'est plutôt prévisible en fait. « Je me suis pas trop contrôlé... » Ouais ouais, il doit pas être aussi stupide que ça quand même, ce Koyen. Koyen que tu n'as jamais pu approcher par manque de courage, t'essaies d'engager la conversation pour le coup. T'avais un peu envie de gagner du temps, de retarder l'heure de ton exécution, et tu espérais que Koyen joue dans la sociabilité. Très peu probable, considérant son état actuel.

Tu te surprends à trembler, ta main droite essayant de stopper l'autre bras, tremblant beaucoup trop pour quelqu'un censé se sentir plus ou moins à l'aise. C'est Koyen, tu sais très bien qu'il ne te fera pas de mal et pourtant, rien qu'à penser au fait qu'il fait partie, lui aussi, de ce groupe de terroristes, ça te terrorisait. Tu ne suis pas ses moindre mouvements, tu ne sais pas vraiment ce que devient cette pauvre victime, peut-être que c'était déjà trop tard? Tu ne sais pas; tu ne peux même pas juger alors que t'es dans le même cas que lui. T'arrives pas à imaginer qu'on subisse la même merde que toi de toute façon, c'est tellement horrible, tu souhaitais vraiment que ça n'arrive à personne d'autre. Et pourtant. Il en est la preuve vivante; que de toute façon, tes souhaits ne seront jamais exaucés. « D'où connais-tu mon nom ? » Sa question te ramène à la dure réalité et tu sursautes un peu. C'est froid comme ton, c'est vide, c'est laid. T'es tellement empathique que ça te donne envie de pleurer à nouveau alors que tu viens à peine d'essuyer tes larmes. Qu'est-ce que vous aviez fait, tous les deux, pour subir quelque chose d'aussi horrible? Tes yeux, rougis par les larmes, fixent le sol en béton. T'avais peur de le regarder encore une fois dans les yeux, ses pupilles ne montraient vraiment rien. C'est possible, ça? Au fond, il devait au moins se sentir triste, déprimé, abattu, non? Pas juste... rien.

Comment il fait? Il te fait peur mais tu l'admires, t'aimerais être aussi doué pour cacher tes émotions. T'aimerais ne plus pouvoir montrer ta peur, ta douleur, ta tristesse, comme il le fait. Ça serait tellement mieux, Bankichi s'ennuierait à force, non? Et il te tuerait... Tu te perds un peu dans tes utopies, ne réfléchissant que très peu à sa question. Pourquoi il te demande ça? Ah, ouais, vous n'avez jamais discuté, il ne te connaissait pas, il ne doit sûrement pas te faire confiance. C'est vrai que pas tout le monde est naïf comme toi, il doit sûrement penser que tu veux le manipuler et l'utiliser à ta guise... Mais franchement, est-ce que t'as la tête à ça? Non, vraiment. Tu ne sais pas trop quoi répondre. C'est comme ça, tu le connais, tu l'as entendu, t'as déjà vu Koyen se faire... urgh, t'as pas envie d'y penser, ça te donne limite la nausée. T'essaies de raccourcir au minimum ce que tu penses mais c'est dur. Tu ne veux pas avoir l'air suspect, tu te ferais probablement rejeter et ce n'est en aucun cas ton but. Pour le coup, tu voulais juste éviter d'aller là bas. « Je l'ai entendu... Au Q.G... » tu réponds un peu maladroitement, ta voix étouffée par le manque de hauteur et ta tête baissée, tu sais même pas s'il t'a entendu correctement.  

Tu réfléchis un peu. Si ce n'est pas toi qui commençait la conversation, il n'allait sûrement pas le faire. Timidement, tu accroches ta main au vêtement du plus grand. Tu lèves un peu ta tête, rassemblant ton courage pour essayer de te présenter avec un minimum d'assurance, ça serait pas trop mal. « Um, moi c'est Hidefusa Akira...!  » Ouais bon, pas trop réussi, mais qui ne tente rien n'a rien dirons-nous. Tu forces (et ça se voit) un sourire alors que tu plantes ton oeil dans les yeux vides du plus âgé. On repassera plus tard pour la crédibilité, on voit une goute de sueur perler sur ton front. Non mais vraiment, on dirait un gosse de quatorze ans. Tu rabaisses les yeux finalement, te disant que c'était ridicule et que de toute façon Koyen n'allait pas jouer le jeu, ça se sent à dix-mille kilomètres. « Je suis comme toi, tu sais...  » tu murmures, te grattant la joue droite avec ton index de la main du même côté. Voilà, là tu fais stupide et gêné, c'est beaucoup plus dans tes gênes. Tu sais pas trop quoi dire; c'est pas nouveau, discuter avec les gens, ça n'a jamais été ton fort, et c'est probablement pour cette raison que tu te retrouves dans cette situation plus ou moins grave. Tu te tournes les pouces et replaces des mèches de cheveux rebelles en signe stressé. « On s'est jamais vraiment vu, c'est pour ça... »

Tu commences à psychoter un peu; peut-être qu'il allait carrément te foutre une claque ou ce genre de choses. Ton cœur veut le traiter comme une personne normale mais ta tête te dit de te méfier, alors tu ne sais plus trop quoi faire. Il va peut-être t'ignorer et reprendre sa route, comme il le ferait d'habitude. Ce que t'aimerais vraiment, c'est qu'il reste avec toi, qu'il te parle un peu, mais bon, tu sais très bien que de te rembarrer c'était probablement la seule solution qui lui vient à l'esprit, là, tout de suite. Tu serres le bout de tissu dans tes mains, levant timidement le regard. « D-Du coup, ça va...? » tu redemandes, pas vraiment sûr de toi, pour le coup. Oui parce qu'évidemment, il avait ignoré ta question - pas comme si tu lui en voulais, c'était même plutôt prévisible, mais là, t'as posé la question juste à la fin, il devrait pas l'oublier. Honnêtement, c'est débile comme question en plus. Tu sens sa mauvaise aura, peut-être pire que la tienne, à deux-cent kilomètres à la ronde mais comme t'es stupide, tu lui poses quand même la question. C'est juste une formalité; quelque chose pour engager la conversation, dans ta tête. Le problème c'est que du coup t'as peur qu'il le prenne mal. Tu peux toujours le coller un peu sans sa permission au pire. Ouuuu alors tu pouvais juste lui foutre la paix et repartir en direction de là où tu es censé te trouver? Nan, jamais de la vie, tu sais très bien que tu vas te faire tuer si t'arrives à la bourre mais là, pour une fois que t'avais l'occasion...

Il semble choqué par ta déclaration. Évidemment, dans ce genre de moment, on a tendance à croire qu'on est seul au monde. Et c'est normal après tout, ce genre de dsituation où on est traité comme un esclave n'est pourtant pas si rare que ça (malheureusement). Pourtant, plus que tout le monde, tu es probablement le seule personne qui arrive à le comprendre autant. La seule différence entre vous est probablement que toi, t'es trop émotif pour ne pas réussir à contenir tes émotions comme il le fait. Tu ne trouves pas d'explication totalement logique quant à son manque d'expressivité qui rapporte plus du monstre que de l'humain. Ça te fait peur, horriblement peur. T'as envie de le secouer, de lui hurler dessus, de le... taper? pour le voir réagir. Cette pensée te fait trembler, t'as pas envie de frapper les autres pour des raisons aussi anodines, tu veux pas finir comme Bankichi, comme ces autres pauvres types. De toute façon, t'es de trop faible constitution pour voir le courage de lever la main sur lui. « Comme moi? » Il n'a toujours pas répondu à ta question ; peut-être qu'il ne va pas bien mais ne veut pas l'avouer. Non, c'est débile, il est probablement dans le même état que toi, il n'a aucune raison d'aller bien.

En attendant, tu ne sais pas trop quoi répondre. T'as pas envie de lui dire que Bankichi avait buté ton meilleur ami et t'avait forcé à garder l'image de son cadavre dans la tête, c'est pas forcément un bon souvenir et rien que d'y repenser te donne envie de vomir. Tu n'oses pas relever les yeux, et une goutte de sueur perle sur ton front. Que dire, que dire, que dire. Tu n'avais pas vraiment besoin de t'expliquer non? Ça veut dire ce que ça veut dire, rien de plus rien de moins. Peut-être qu'il ne te crois pas — non, c'est sûr qu'il ne te croit pas. La seule chose que tu trouves à dire, c'est un timide « M-M-Mitsuhide-sama... Il... ».  T'as pas le courage de dire quoi que soit, t'as pas envie d'y repenser. L'index droit tremblant se relève et pointe ton cache-œil. Tu ne sais pas comment Koyen va réagir et pour être honnête, tu n'as pas envie de savoir. Après tout, c'est un peu ton petit frère (mais en plus âgé), tu veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. « Il m'est arrivé les même choses que toi... » tu murmures timidement. « Il m'a forcé à rejoindre le groupe sinon... Chiaki va mourir... » Tu ne précises pas la suite de l'histoire. Évidemment que non, l'histoire est encore à écrire, Chiaki n'est pas encore mort, il ne va pas mourir — ça serait ridicule que oui, il n'est au courant de rien! Cette pensée te fait doucement sourire.