Retards répétitifs et arrangements louches. [PV - Hinata Misaki]

Elle regarda le papier revenir vers sa table d’origine, en oiseau migrateur. Ce jeu lui plaisait bien à vrai dire. Ne pas se faire surprendre par un vieux gâteux et écrire tout et n’importe quoi.  Avec un tremblement d’excitation, la jeune fille déplia le précieux message et laissa ses yeux parcourir rapidement le contenu.

« Mh, je suppose que ça va durer un ou deux mois, le temps qu'il se rende compte que ça ne sert à rien de nous imposer quelque chose... Moi aussi j'ai faim, en fait.»

Elle sentit comme un air de rebelle dans cette première ligne et s’amusa de voir qu’il partageait en partie son avis. Après penser exactement la même chose était peu probable, de par le caractère marginal de la lycéenne. Attrapant le même stylo que tout à l’heure, elle inscrivit à la suite :

« Deux mois hein… ça devrait le faire. Encore heureux que ce soit pas deux mois de cours de littérature, j’en mourrai ! Sinon pour le sujet de la faim, tu veux qu’on déjeune ensemble ? J’ai de quoi nourrir une armée, merci aux gars de la rue commerçante. »

La jeune fille ajouta son habituel dessin rapide après ces quelques lignes, en tant que signature. Elle se rendit compte de l’audace de sa proposition seulement après que le papier ait quitté sa table et se maudit intérieurement de tant de hardiesse de sa part. Misaki sentait déjà les regards plein de reproches de ses camarades sur elles. Regards auxquels elle ne pouvait malheureusement pas échapper, cantonnée à la condition humaine, cruelle fatalité. La jeune y était habituée mais ressentait toujours la même gêne. Jalousie, pitié, elle connaissait pour les avoir également expérimentés. Et puis de toute façon, la jeune fille ne se sentait que peu concernée par les pensées de ses camarades, à la fois proche et lointaine de l’opinion publique.

Ils continuèrent un moment cet échange silencieux. Misaki attendait avec impatience la sonnerie, allant même jusqu’à compter les minutes ce qui lui valut un reproches concernant son manque d’attention de la part du professeur.  Dès qu’il eut le dos tourné, la jeune fille joua son côté rebelle en présentant son majeur sous les regards consternés des autres, désormais habitués à ses singeries. Elle faisait ce qu’elle voulait et ne changerait pas ça.

Un soupir de soulagement collectif s’échappa à la sonnerie avant que tous bougent de façon à rejoindre la cafétéria ou disposer les tables de la classe en îlots, mieux adaptés aux déjeuners. Misaki elle-même s’activa tant bien que mal pour rassembler des tables près de la fenêtre du fond, lieu qu’elle aimait bien dans cette classe terne de banalité. Elle pesta contre ses faibles bras dénués de forces et cette table qui ne bougeait que peu comparé à la distance parcourue par la table. Le tout mis en place elle s’installa comme d’habitude les pieds sur la chaise, recroquevillée comme un enfant.

Elle admirait les ressources disposées ici et là sur la table, pour une fois heureuse d’en avoir autant. Partager sonnait comme une bonne action dont elle devait être fière. De toute façon, avec son maigre appétit, il lui était impossible de finir tout ce qu’on lui donnait tous les matins. La jeune fille avait pris l’habitude de passer dans la rue commerçante près de chez elle en allant au lycée. Pour seule raison, le fait que les personnages classes font souvent ça et aussi parce que voir du monde le matin était plutôt sympathique même si à force elle ne savait pas quoi faire de toutes les brioches à la viande et mochis qu’on lui donnait.
Face à son camarade, elle déclara simplement :

« Je t’en prie, sers toi ! Faut bien que j’aide l’armée ! »

La jeune attrapa ensuite une brioche et une briquette de lait-fraise, comme pour montrer l’exemple.  Le lait-fraise pour Misaki, c’était comme la Bible pour les chrétiens, une relique sacré. Un lait-fraise dans la journée et c’est une bonne journée. Pas besoin de chercher plus loin. La vie peut parfois être d’une simplicité déconcertante. Enfin pas toujours quand on pense de façon marginale.